Nous savions peu de choses sur ce jeune homme. Il était assis devant nous, dans ce restaurant de la rue Elgin, sirotant son thé matinal pendant que nous prenions notre café. Nous attendions les déjeuners.
Ses lèvres paraissaient rugueuses, sèches. À droite, sur la lèvre d'en bas, un petit trou trahissait le passage d'un piercing. Il était joli, mais il ne s'intéressait qu'à lui-même. Il n'avait parlé que de sa personne jusqu'à présent: comment il occupait un poste puissant dans un hôpital, comment il contrôlait la morgue, comment ses études le propulseraient en haut de l'échelle sociale, comment il faisait plus d'argent que nécessaire, bla bla bla. Il nous avait aussi avoué qu'il aimait fumer des joints le matin en se levant, mais que son travail rendait cette activité difficile. En gros, résumait-il, sa vie alternait entre le travail et les bars. Et maintenant, il ne parlait plus.
Il ne s'intéressait pas à nous. Il nous fallait s'intéresser à lui, l'interroger. Il collectionnait les insectes. Comment faisait-il? Il les achetait parfois, il les capturait aussi lui-même. Il nous a expliqué comment il les tuait et les épinglait. Il n'épinglait que les plus beaux spécimens et gardait les autres ailleurs. "J'en ai capturé beaucoup, beaucoup", a-t-il ajouté avant de passer à sa collection de minéraux.
Je ne sais plus trop comment la discussion en est arrivé à la chasse, mais toujours est-il que cet homme chassait par choix. Moi, je chasse par perversion. Il s'est alors mis à parler de calibre. Il voulait savoir avec quoi je tirais. Je n'en savais rien, je m'en fichais tellement. Je m'intéressais surtout au gibier et à l'entendre, il avait tué un peu de tout. Même des oiseaux: "Je tue des oiseaux et je les mange", a-t-il dit avant de se demander, à voix haute, avec quel calibre il tuerait le prochain.