2005/07/31

Une définition de la honte

"La honte n'est pas un sentiment qu'on ressent uniquement dans les grandes humiliations de la vie; elle surgit souvent, cuisante, oppressante, dans des moments plutôt sans conséquence, imprévus, alors que votre vulnérabilité, désarmée, est la plus sensible et votre combativité à son point zéro. Elle vous paralyse alors, vous laisse sans voix, sans pensée, vide et malheureux."
-Michel Tremblay, La nuit des princes charmants

Le froid et l'hiver

"De plus, nous étions en hiver, période plutôt creuse pour les amateurs de célébrations bucoliques à la belle étoile et j'étais en manque. La neige, jamais ramassée, s'accumulait jusqu'à six ou huit pieds dans le parc Lafontaine, les chemins pour piétons étaient souvent impraticables, les nuits trop froides et les vêtements matelassés peu commodes au dézippage rapide. De toute façon, l'amour dans les congères n'a jamais été mon genre."
- Michel Tremblay, La nuit des princes charmants

La nuit des princes charmants

Je prends un malin plaisir depuis quelques temps à choisir ma prochaine lecture en fonction de la précédente. Ainsi les Aurores montréales de Monique Proulx ont été suivies de The apprenticeship of Duddy Kravitz de Mordecai Richler, histoire de voir Montréal à travers les deux solitudes. Pour faire suite à Richler, j'ai trouvé qu'il serait intéressant de lire un livre écrit par un antisémite. Ainsi suis-je tombé sur Céline et son Voyage au bout de la nuit, que j'ai décidé de faire suivre par La nuit des princes charmants, de Michel Tremblay. Comme quoi nos nuits ne sont pas peuplées que de cauchemars.

2005/07/26

Pour en finir avec le bout de la nuit

Voyage au bout de la nuit avait tant de passages qui aurait mérité d'être cités dans ce blogue que je n'en finissais plus de plier le coin des pages pour ne pas les perdre. Mais le roman était si passionnant qu'entre venir le citer ici et poursuivre ma lecture, j'ai préféré encore la seconde option.

Je ne récrirai pas ici tout le roman. Plutôt, je vais faire un lien entre ce dernier et un passage des Cahiers de Malte Laurids Brigge tant ils se répondent bien.

La mort du chambellan Christoph Detlev Brigge à Ulsgaard. Car il était étendu, débordant largement de son uniforme bleu foncé, sur le plancher, au milieu de la chambre, et ne bougeait plus. Dans son grand visage étranger que personne ne reconnaissait, les yeux s'étaient fermés; il ne voyait plus ce qui arrivait. On avait d'abord essayé de l'étendre sur le lit, mais il s'en était défendu, car il détestait les lits depuis ces premières nuits où son mal avait grandi. Le lit d'ailleurs s'était montré trop court, et il n'était resté d'autre ressource que de le coucher ainsi sur le tapis; car il n'avait plus voulu redescendre.
Et voici qu'il était étendu, et qu'on pouvait croire qu'il était mort. Comme il commençait à faire nuit, les chiens s'étaient, l'un après l'autre, retirés par la porte entrebâillée; seul le rubican à la tête maussade était assis auprès de son maître, et l'une de ses larges pattes de devant, au poil touffu, était posée sur la grande main grise de Christoph Detlev.
[...]
La mort de Christoph Detlev vivait à présent à Ulsgaard, depuis déjà de longs, de très longs jours, et parlait à tous, et demandait. Demandait à être portée, demandait la chambre bleue, demandait le petit salon, demandait la grande salle. Demandait les chiens, demandait qu'on rît, qu'on parlât, qu'on jouât, qu'on se tût, et tout à la fois. Demandait à voir des amis, des femmes et des morts, et demandait à mourir elle-même: demandait. Demandait et criait.
[...]
Ce n'était pas la mort du premier hydropique venu, c'était une mort terrible et impériale, que le chambellan avait portée en lui, et nourrie de lui, toute sa vie durant. Tout l'excès de superbe, de volonté et d'autorité que, même pendant ses jours les plus calmes, il n'avait pas pu user, était passé dans sa mort, dans cette mort qui à présent s'était logée à Ulsgaard et galvaudait.
Comment le chambellan Brigge eût-il regardé quiconque lui eût demandé de mourir d'une mort autre que celle-là? Il mourut de sa dure mort.
- Rainer Maria Rilke, Les cahiers de Malte Laurids Brigge

Maintenant que l'autre cancéreux est mort en bas, son public d'agonie furtivement remonte par ici. Tant qu'on est en train de passer la nuit blanche, qu'on en a fait le sacrifice, faut prendre tout ce qu'il y a à regarder en distractions dans les environs. La famille d'en bas vint voir si par ici ça allait se terminer aussi mal que chez eux. Deux morts dans la même nuit, [...] ça serait une émotion pour la vie! Tout simplement! Les chiens de tout le monde on les entend par coups de grelots qui sautent et cabriolent à travers les marches. Ils montent aussi eux. Des gens venus de loin entrent en surnombre encore, en chuchotant.
[...]
Fallait le trouver le mari pour pouvoir diriger sa femme sur l'hôpital. Une parente me l'avait proposé de l'envoyer à l'hôpital. Une mère de famille qui voulait tout de même aller coucher ses enfants. Mais quand on a eu parlé d'hôpital, personne alors ne fut plus d'accord. Les uns en voulait de l'hôpital, les autres s'y montraient absolument hostiles à cause des convenances. Ils voulaient même pas qu'on en parle. [...] La sage-femme méprisait tout le monde. Mais c'est le mari, moi, pour ma part, que je désirais qu'on retrouve pour pouvoir le consulter, pour qu'on se décide enfin dans un sens ou dans l'autre. Le voilà qui se met à surgir d'un groupe, plus indécis encore que tous les autres le mari. C'était pourtant bien à lui de décider. L'hôpital? Pas l'hôpital? Que veut-il? Il ne sait pas. Il veut regarder. Alors il regarde. Je lui découvre le trou de sa femme d'où suintent des caillots et puis des glou-glous et puis tout sa femme entièrement, qu'il regarde. Elle qui gémit comme un gros chien qu'aurait passé sous une auto. Il ne sait pas en somme ce qu'il veut. On lui passe un verre de vin blanc pour le soutenir. Il s'assoit.
[...]
"Pense donc un peu, Pierre!" que tout le monde l'adjure. Il essaye bien, mais il fait signe que ça ne vient pas. Il se lève et va vaciller vers la cuisine en emportant son verre. Pourquoi l'attendre encore? Ça aurait pu durer le reste de la nuit son hésitation de mari, on s'en rendait bien compte tout autour. Autant s'en aller ailleurs.
- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

2005/07/24

Rien à voir avec la honte et le froid, mais tout à voir avec les délires suréalistes de Madame B ce weekend dans Le Devoir:
"Au milieu d'une rivière accessible uniquement par portage, au pied d'un pont métallique de 50 mètres et dans les remous de chutes spectaculaires, Claire et Pierre, un couple de vrai monde, de bon monde, d'honnêtes gens, intelligents et généreux, ont voulu parler de la piètre qualité de la langue parlée. Entre deux dorés, pêchés à la traîne, la discussion devient rapidement fondamentale. Pourquoi semblons-nous rejeter ce qui est beau et bien?"

2005/07/23

Le froid des nuits

"Je cherchais quand même si j'y étais pour rien dans tout ça. C'était froid et silencieux chez moi. Comme une petite nuit dans un coin de la grande, exprès pour moi tout seul."
- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

Le froid des sciences

"Le véritable savant met vingt bonnes années en moyenne à effectuer la grande découverte, celle qui consiste à se convaincre que le délire des uns ne fait pas du tout le bonheur des autres et que chacun ici-bas se trouve indisposé par la marotte du voisin.
Le délire scientifique plus raisonné et plus froid que les autres est en même temps le moins tolérable d'entre tous."
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

La honte des grossesses

"Je voulus l'examiner, mais elle perdait tellement de sang, c'était une telle bouillie qu'on ne pouvait rien voir de son vagin. Des caillots. Ça faisait "glouglou" entre ses jambes comme dans le cou coupé du colonel à la guerre. Je remis le gros coton et remontai sa couverture simplement.
La mère ne regardait rien, n'entendait qu'elle-même. "J'en mourrai, Docteur! qu'elle clamait. J'en mourrai de honte!""
- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

Il fait froid dehors

"Elle était gaie la vieille Henrouille, mécontente, crasseuse, mais gaie. Ce dénuement où elle séjournait depuis plus de vingt ans n'avait point marqué son âme. C'est contre le dehors au contraire qu'elle était contractée, comme si le froid, tout l'horrible et la mort ne devaient lui venir que de là, pas du dedans.

[...] Allez-vous-en de chez moi!... À me tracasser vous êtes plus méchants que l'hiver de six mois!"

- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

2005/07/13

Je fais le père, je fais la mère, comment veux-tu que je ne maigrisse pas: A+

2005/07/12

Patience Pb, il ne reste que 200 pages avant le bout de la nuit.

2005/07/09

Superbe description:

Pour voir le soleil, faut monter au moins jusqu'au Sacré-Coeur, à cause des fumées.
De là alors, c'est un beau point de vue; on se rend bien compte que dans le fond de la plaine, c'était nous, et les maisons où on demeurait. Mais quand on les cherche en détail, on les retrouve pas, même la sienne, tellement que c'est laid et pareillement laid tout ce qu'on voit.
Plus au fond encore, c'est toujours la Seine à circuler comme un grand glaire en zigzag d'un pont à l'autre.
Quand on habite Rancy, on se rend même plus compte qu'on est devenu triste.
- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

"Pour la quitter il m'a fallu certes bien de la folie et d'une sale et froide espèce. Tout de même, j'ai défendu mon âme jusqu'à présent et si la mort, demain, venait me prendre, je ne serais, j'en suis certain, jamais tout à fait aussi froid, vilain, aussi lourd que les autres, tant de gentillesse et de rêve Molly m'a fait cadeau dans le cours de ces quelques mois d'Amérique." - Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

Sur le bilan d'une vie, comparez:
"Et si je meurs demain, c'est que tel était mon destin." - Brigitte Bardot chantant Harley Davidson

Amusant contraste. Cette chanson fait d'une moto le but de la vie, alors que le roman fait du contact avec les autres la principale, sinon la seule richesse de la vie.

"Je n'ai besoin de personne en Harley Davidson."

Bardamu observe une Américaine pleurer:

C'est un peu humiliant, mais tout de même, c'est bien du chagrin, c'est pas de l'orgueil, c'est pas de la jalousie non plus, ni des scènes, c'est rien que de la vraie peine du coeur et qu'il faut bien se dire que tout ça nous manque en dedans et que pour le plaisir d'avoir du chagrin on est sec. On a honte de ne pas être riche en coeur et en tout et aussi d'avoir jugé quand même l'humanité plus basse qu'elle n'est vraiment au fond.
- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit


Peut-être la première lueur positive dans ce roman, et encore, elle est dans le chagrin.

""On placera nos économies... on s'achètera une maison de commerce... On sera comme tout le monde..." Elle disait cela pour calmer mes scrupules. Des projets. Je lui donnais raison. J'avais même honte de tant de mal qu'elle se donnait pour me conserver."
- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

"Après c'était tout à fait froid entre nous deux dans son auto. Les rues que nous franchissions nous menaçaient comme de tout leur silence armé jusqu'en haut de pierre à l'infini, d'une sorte de déluge en suspens. Une ville aux aguets, monstre à surprises, visqueux de bitumes et de pluies. Enfin, nous ralentîmes. Lola me précéda vers sa porte.
"Montez, m'invita-t-elle, suivez-moi!""
- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

2005/07/05

"Précairement vêtu je me hâtai, transi, vers la fente la plus sombre qu'on puisse repérer dans cette façade géante, espérant que les passants ne me verraient qu'à peine au milieu d'eux. Honte superflue. Je n'avais rien à craindre. Dans la rue que j'avais choisie, vraiment la plus mince de toutes, pas plus épaisse qu'un gros ruisseau de chez nous, et bien crasseuse au fond, bien humide, remplie de ténèbres, il en cheminait déjà tellement d'autres de gens, des petits et des gros, qu'ils m'emmenèrent avec eux comme une ombre. Ils remontaient comme moi dans la ville, au boulot sans doute, le nez en bas. C'était les pauvres de partout."
- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

La découverte de l'Amérique

Après avoir traversé l'Atlantique en ramant dans une gallère, Bardamu arrive à New York.

Pour une surprise, c'en fut une. À travers la brume, c'était tellement étonnant ce qu'on découvrait [...]

Figurez-vous qu'elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux même. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l'Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.

On en a donc rigolé commes des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur. Mais on n'en pouvait rigoler nous, du spectacle qu'à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose, et rapide et piquante à l'assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la villes, où les nuages s'engouffraient aussi à la charge du vent.
- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

Nunavut, Empire du Froid

Ici un lien vers le blogue d'un ami qui partira jeudi pour le Pôle Nord.

2005/07/04

Honte latine

Ce Mateo écrit trop bien. Cette fois, il parle de honte et mérite sa place ici:

Yo una vez conté un chiste mientras Natasha y ernesto tomaban y les salió la Fanta ® por la nariz. Juraron venganza. Ayer, mientras me bañaba, ernesto y Natasha tiraron una radio prendida adentro de la bañadera. Cuando, en el hospital, los acusé de intento de homicidio, ellos sacaron a colación el incidente de la Fanta y yo callé avergonzado.
- Mateo, Se exactamente lo que hago

2005/07/03

"Les indigènes eux, ne fonctionnent guère en somme qu'à coups de trique, ils gardent cette dignité, tandis que les Blancs, perfectionnés par l'instruction publique, ils marchent tout seuls.
La trique finit par fatiguer celui qui la manie, tandis que l'espoir de devenir puissants et riches dont les Blancs sont gavés, ça ne coûte rien, absolument rien." - Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

À Guy

"Mille diligents moustiques prirent sans délai possession de mes cuisses et je n'osais plus cependant remettre un pied sur le sol à cause des scorpions, et des serpents venimeux dont je supposais l'abominable chasse commencée. Ils avaient le choix les serpents en fait de rats, je les entendais grignoter les rats, tout ce qui peut l'être, je les entendais au mur, sur le plancher, tremblants, au plafond."
- Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

Le froid qui émascule

"À entendre certains habitués, notre colonisation devenait de plus en plus pénible à cause de la glace. L'introduction de la glace aux colonies, c'est un fait, avait été le signal de la dévirilisation du colonisateur." - Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit