2005/11/08

Celle qui bousillait ses enfants

Je suis arrivé avec une heure d'avance à la station centrale d'autobud pour l'achat des billets. Comme il n'y avait pas vraiment de file, j'avais une heure d'errance à tuer et j'ai décidé d'explorer le petit restaurant de la station, puisque je n'y étais jamais allé. J'y ai pris un café et me suis assis dans ces tables avec des banquettes. Autour de moi une jeune fille étudiait, deux autres parlaient en langage des signes. Un gros monsieur mangeait en rotant.

Soudain, une famille est venue s'asseoir à la table en face de moi. C'était une famille pauvre, visiblement défavorisée par tout ce que la vie n'avait pu lui offrir. La mère était jeune, grosse, et n'inspirait aucune sympathie. Le père non plus, mais celui-là avait l'air d'une misérable racaille sans échine. Le seul espoir qui leur restait était ces enfants, tout jeunes. Ils avaient encore l'innocence de leur côté. Mais la mère semblait à tout pris leur refuser cette innocence. Elle les culpabilisait et les punissait de tout et de rien.

Ils avait deux et quatre ans. La mère tenait fermement le plus jeune par le bras, le forçait, par de brusques mouvements, à aller aussi vite qu'elle, même s'il allait déjà aussi vite qu'elle. Elle l'a poussé sur la banquette, lui ordonnant de s'asseoir. Le pauvre s'est retrouvé cul par-dessus tête et pendant qu'il se redressait pour s'asseoir, la mère a lancé son sac à dos au bout du siège, accrochant sa tête au passage. Elle s'est assise à côté de lui, agacée qu'il ne soit pas déjà installé, et l'a redressi assez raide. J'étais stupéfié par cette scène qui ne faisait que commencer.

Elle et son fils me tournait le dos, tandis que le père et l'aîné s'assoyaient en face d'eux, et de moi-même par le fait même. Le père et la mère discutaient dans un charabia mou et désorganisé. Je reconnaissais parfois des mots anglais, parfois des mots français. Mais en général, c'était incompréhensible. La mère commençait toutes ses phrases par "je". J'ai compris qu'elle se plaignait.

À côté d'eux, les enfants ne disaient pas un mot. J'étais à me dire que peut-être les enfants avaient été turbulents, même si ça n'excusait rien, quand la mère a donné une taloche sur le bras du plus jeune en lui disant de se tenir tranquille. Quelques instants après, le père a fait la même chose avec l'aîné. J'étais scandalisé. Je ne savais trop que faire, je voulais intervenir, mais j'avais peur de faire une scène. J'avais peur que toute la violence n'éclate soudain. Et personne autour ne semblait remarquer ce qui se passait.

Le père n'a retouché personne, mais la mère, tout en se plaignant, donnait par moments des claques à son enfant. L'enfant ne faisait rien. On aurait dit qu'elle se défoulait sur lui des troubles dont elle se plaignait.

Soudain la mère a donné un coup de coude au petit. Le coup a atteint son oreille. Là, j'avais de la rage au coeur. Ça n'avait aucun sens. L'enfant s'est mis à pleurer.
Sa mère s'est approché à un pouce de son visage et lui a dit, en le menaçant du doigt, de se tenir tranquille. Or, parce qu'elle s'était ainsi penché, je faisais face au père et j'ai voulu me cacher en buvant mon café. J'ai soulevé ma tasse, mais je tremblais tellement que je ne pouvais rien faire. J'ai dû reposer ma tasse sur la table. Je tremblais tant.

Le père a dit à sa femme qu'elle ambitionnait. À moins qu'il ne l'ait dit à l'enfant. Je ne sais pas. Il a dit: "Là tu ambitionnes."

Elle n'a plus retouché à cet enfant par la suite, mais l'autre a dû l'accrocher avec son pied sous la table car je l'ai entendue dire: "J'vas t'en donner des coups de pied, moi itou." Et j'ai entendu des bang! bang! Elle essayait de lui remettre son coup.

Puis elle a dit à son mari d'aller acheter du jus, pous le plus jeune. Et elle a dit au plus vieux qu'il n'en aurait pas. Elle a mouché le plus jeune, qui morvait à cause de pleurs et lui a donné le jus. L'autre le regardait. On voyait bien qu'il en voulait. Sa mère a fini par lui tendre la bouteille. Lui n'y croyait pas. Il était incrédule. Il a pris la bouteille et a bu, méfiant, en ne quittant pas sa mère des yeux, qui elle-même ne lâchait pas de le dévisager. Il buvait comme un chien battu, voilà.

La crise était passée. Mon café était fini et je n'en pouvais plus. Je suis reparti, rongé par les scrupules.

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