2009/03/09

Les guns à Ti-Gus

Dans mon village natal, tous connaissent ce gros bêta qui ne sort jamais sans ses fusils. Quand la cloche de l'église sonne midi ou au douzième coup de minuit, les jours de fête, personne ne s'inquiète d'entendre des coups de feu, car tous savent qu'il s'agit de Gus tirant en l'air pour marquer le passage du temps. Le pauvre se prend peut-être pour une cloche, mais lorsqu'il sort prendre l'air et que, arpentant les vieux trottoirs rongés par l'hiver et l'humilité financière du conseil municipal, il arbore fièrement ses canons rutilants sous le soleil, il médite sûrement sur l'absence de shérif et s'enorgueillit alors de nous rendre service en intimidant par ses fusils les vauriens qui voudraient commettre des crimes, violer nos femmes et corrompre nos enfants. Il ignore que si le village n'a pas de shérif, ce n'est pas faute de protection policière mais parce que les shérifs sont aux États-Unis et que notre chef de police, lui, est à son poste, entre le bureau du chômage et le salon de quilles. Sans doute est-ce là le point le plus comique de la parade de notre cloche armée : lorsque, en méditant là-dessus, elle passe devant le poste sans remarquer le chef qui écarte les persiennes pour l'observer, puis envoie l'auto-patrouille l'intercepter au bout de la rue, à l'entrée du cimetière.

Cette obsession pour l'arme à feu prend des proportions démesurées les jours plus gris, lorsque notre homme, inquiet de voir ses armes atteintes par quelques gouttes de pluie, décide de faire sa promenade en voiture. Dans ces cas-là, il remplit son coffre arrière, la banquette et le siège du passager d'armes et de munitions. À la taverne, les plus cyniques parient que s'il avait une remorque, notre obsédé la remplirait elle aussi de carabines et de fusils.

Le voici donc qui prend, par un jour de pluie verglaçante, la route vers Ottawa, au sud, avec son arsenal en guise de passagers et de bagages. Mais rendu à l'entrée de Kazabazua, là où la 301 rejoint la 105, l'irruption soudaine d'un camion au milieu de l'intersection force notre Ti-Gus à freiner pour éviter la collision. Or, derrière lui, un chauffeur n'ayant pas la même maîtrise que lui de son véhicule, en freinant, dérape, fait un tête à queue, heurte par derrière le coffre de la voiture de Gus avant de s'arrêter violemment dans le fossé, où la force de l'impact a pour effet d'ouvrir le coffre. Gus sort paniqué de sa voiture, ouvre son coffre pour constater les dommages. Les armes semblent intactes, mais seul un examen approfondi des mires, au retour à la maison, saura révéler l'ampleur du drame. Heureusement, aucune balle n'a éclaté. Puis, levant la tête, Gus aperçoit l'autre chauffeur qui sort de sa voiture en titubant et inspecte lui aussi, en jurant en anglais, son coffre rempli de carabines et d'arbalètes. Les deux hommes, constatant alors leur obsession commune et les risques qu'elle entraîne, se promettent, en échangeant leurs coordonnées, de toujours se prévenir mutuellement de leurs déplacements. Puis le chauffeur du camion, ayant tout aperçu, sort les rejoindre pour rire avec eux : "Et c'est même pas la saison de la chasse! Ah! Ah! Ah!"

-- À lire aussi --
Collision entre sous-marins nucléaires français et britannique

Aucun commentaire: