2005/01/13

La prière du cinglé.

Un matin au métro Jean-Talon. Attente sur un banc du prochain train. L'homme qui, avant de s'asseoir, d'un geste soudain enlève son manteau comme on dégaine une épée avant le duel, ne suffit pas à me sortir de ma torpeur urbaine ni de cette fatigue comateuse qui me rappelle ma vieillesse future. Je lève à peine les yeux vers lui, et ce même s'il a failli me fouetter le visage avec le coin de sa manche. Je voudrais seulement dormir. Ma vie est une interminable lutte contre la fatigue.

L'homme s'asseoit à gauche. Lui aussi attend le métro. Et comme un samourai en pleine méditation, il joint les mains d'un geste ample, non pas pour une prière, car les prières formulent des souhaits, mais pour émettre haut et fort des vérités, en prononçant gravement chaque syllable, en accrochant chaque fois la dernière à son souffle, comme pour lui donner l'élan nécessaire à sa pleine diffusion dans l'air:

"Puissance...

Plus fort...

Plus riche...

Plus pauvre..."

Quelque chose dans le ton de sa voix donne à penser qu'il voit dans cette suite quelque logique invisible. Ces syntagmes sont peut-être pour lui des arguments. Pour sûr ce n'est pas la première fois qu'il se les répète.

Je l'ai écouté se convaincre de ce dont il se croyait déjà convaincu et j'avais un peu froid d'être assis juste à côté. J'ai pensé me lever, dans un geste politique, pour me dissocier ostentatoirement de ces niaiseries-là, jeter ainsi sur lui une sorte de honte qu'il aurait été incapable de sentir.

Vraiment? Et s'il se rendait compte de ma désapprobation? S'il essayait ensuite de me faire ravaler cette honte que j'aurais laissée sur le banc telle une flatulence qu'on abandonne à de pauvres idiots qui ne se doutent encore de rien? - La peur - Oui, c'était bien une peur lâche qui me retenait là. J'étais prisonnier. J'avais honte de mon état. Et je me suis surpris à prier le métro de venir me libérer au plus tôt.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

C'est là la joie de l'intégration des déficient.

Dans les métro les cinglés prient, alors qu'avant on les cinglait dans leurs camisoles.