2005/08/21

De mon été, à la manière de Céline

La belle saison a commencé pour moi avec les cours de chinois. On y apprenait à dire des phrases idiotes d'une manière incompréhensible. J'ai excellé. Mais pendant ce temps, on se souvient que j'ai dû me faire arracher des dents. J'ai plus souffert de l'opération que du mal qui l'avait suscitée. C'est à ce moment-là qu'il s'est mis à faire chaud, très chaud. On n'en finissait plus de suer et de ne plus dormir. Il avançait l'été et on s'épuisait de plus en plus.

Malgré cela il fallait trimer dur, parce qu'on avait décidé de déménager et qu'il fallait tant laver et peinturer. On peinturait dans ces grandes chaleurs qui font tant parler les femmes enceintes et moi, par pudeur, je n'osais pas enlever mon chandail. J'ai sué au point que mes glandes n'en pouvaient plus. Ce soir-là, au moment de la douche, j'avais le corps picoté de rouge. On eut dit une truite mouchetée. Oui, voilà ce que j'étais quand l'eau tombait sur moi. Le lendemain j'ai bien pris soin de me déshabiller pour peinturer. Beaucoup m'ont suivi dans cette démarche. On aurait pu croire à un bordel.

Une fois le déménagement complété, mais vraiment complété, un mois plus tard, je me suis reposé. On m'avait trouvé un chalet quelque part dans les Laurentides et là je me baignais beaucoup, parce que l'eau était bonne et qu'il faisait toujours chaud. Par chance il y avait un enfant là-bas. Je l'accompagnais dans ses chasses aux grenouilles. Il me montrait des carcasses de tortues et d'écrevisses. Je ne faisais plus mon âge.

Puis il y a eu les championnats du monde. C'était dans les environs de mon anniversaire. On a regardé des hommes se bousculer dans l'eau et d'autres plonger du haut d'une tour. C'était impressionnant de les voir se jeter dans le vide les plongeurs. Tellement qu'à la fin ils ont reçu des médailles. Nous, pour célébrer ma vie qui vieillissait, on est passé par le karaoké. On chantait des vieilles chansons d'hommes qui avait déjà été jeunes, il y a longtemps. On se prenait sans vergogne pour ces jeunesses dépassées en massacrant leur chanson encore un peu. Ode à la honte. On ne pouvait pas mieux fêter.

Enfin les vacances sont arrivées. Les vraies. J'ai commencé par aller à Sudbury. Là-bas, ils nous criaient Mary Poppins les ivrognes au volant dans la nuit. Ils s'enfuyaient dans leurs voitures et les taxis n'arrêtaient pas. On passait les journées à la plage et les soirs dans les bars. C'est là qu'en tant que touristes, nous nous laissions prendre en photo par un jeune éphèbe.

Ce jeune-là, plus tard dans la soirée, on le retrouvait sans chandail. Il s'appliquait à descendre son pantalon à la limite de l'acceptable et du physiquement possible. À tout instant le vêtement menaçait de ne plus tenir et de tomber par terre. Nous lui regardions le pubis et on pouvait deviner son âge: barely legal, qu'ils disent dans cette province.

Quand il nous a vu, lui, il a quitté ses amis pour venir danser avec nous. En s'en foutait nous. Ou plutôt on se moquait bien de lui. Mais il nous tenait par les fesses et ne les abandonnait qu'un instant, pour faire une pirouette. Son torse suait encore plus que moi durant la peinture. Il était poisseux. À un moment donné, il s'est arrêté pour reprendre un peu son souffle. Il ne bougeait plus. Il n'osait pas nous regarder dans les yeux. Il attendait. Il s'offrait. Comme une vierge dans les tribus. Nous on en voulait pas de sa virginité ni même de sa saloperie si s'en était une. Comme on ne bougeait pas, il s'est remis à faire des pirouettes et à se trémousser. Il était prisonnier de son offrande. Par orgueil il n'irait jamais retrouver ses amis bredouille. Heureusement pour lui une amie s'est approchée. Il s'est jetée sur elle.

On l'a revu à la fin, à cette heure si jeune où les bars ferment en Ontario. Le rythme des chansons avait beaucoup baissé. Des couples s'enlaçaient. C'était le moment de partir et nous on partait. Le jeune homme dansait avec un autre monsieur torse nu lui aussi. Ça devait poisser ferme entre ces deux-là. Et ils s'embrassaient pour échanger encore plus de liquide. On savait que dans peu de temps ils auraient fini de tout échanger quelque part chez lui ou chez l'autre ou ailleurs dans une ruelle peut-être. Toujours en embrassant, il nous a aperçu qui partions le jeune. Et comme on passait tout près, il a pris la fesse de mon ami et son autre main est aller saisir tout ce que j'avais de bijoux de famille et de verge d'or. Moi je n'en revenait comment qu'il faisait flèches de tout bois pour s'occuper tant d'hommes à la fois. On ne se trompe pas si on dit qu'il était volage.

Les vacances continuaient et cette fois c'était dans le bas du Saint-Laurent, sur l'Île Verte. On y faisait du vélo en regardant la mer. Mais on ne pouvait rien faire d'autre que prendre des photos et tourner en rond avec le vélo. Si bien que je suis reparti de là pas tellement mécontent de dire au revoir. Puis on a traversé le fleuve jusqu'à Tadoussac et là c'était tellement plein de gens qu'il fallait absolument prendre l'auberge de jeunesse même si on en avait peur nous de tous ces ados en mal d'identité.

Mais c'était quand même un bel endroit, cette auberge. On eut dit une utopie. Les gens entraient là et demandaient la clé. On leur répondait qu'il n'y avait pas de clés dans ces lieux. Puis on ajoutait, par-dessus l'étonnement général, qu'il n'y avait pas de vols non plus. Et des garçons grattaient des guitares, d'autres jonglaient. Il y avait pour tous les goûts tous les âges tous les sexes. Une belle ambiance. Nous on souriait tout le temps en buvant notre vin.

Puis je suis allé dans mon pays natal. Et là-bas, j'étais stupéfait de constater à quel point Maniwaki produit de beaux hommes. Je me souviens d'un urbain qui y en était revenu un jour d'un voyage d'affaire tout à fait excité d'avoir vu tant de beauté. Je ne sais pas par quel prodige il y en a tant. Mais c'est partout la même beauté, toujours le même air la même allure sauvage et virile. Je m'en suis rendu compte en revenant à Montréal. Le métro était rempli de gens si différents que ça m'a fait sourire. J'ai souri tout le long du trajet.

Demain le travail reprend.

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