2007/08/17

Premier regard sur l'Europe (bis)

J'ai toujours l'impression de débarquer en catastrophe des avions, comme si j'ai été catapulté de chez moi, à califourchon sur une roche, pour me retrouver là, patatra dans un nouveau monde, sans trop comprendre. C'est à cause de mon hébétude. Je me rends compte que je suis là, complètement hagard, épuisé par le trajet mais excité par ce qui m'arrive. Je sors de l'aéroport et c'est comme un raz-de-marée qui me ramasse - à cause des sens. Naître ne doit pas être bien différent. On découvre qu'il y a de l'air, une odeur, une température, et surtout une lumière. La lumière est différente à Barcelone. Ici, on dirait qu'elle coule sur les choses, comme de l'eau. Là-bas, elle irradie. Tout brille, alors qu'ici tout est éclairé. C'est quelque chose, quand même, de basculer dans un monde qui brille, rapport que ça éblouit. Puis on avance à tâtons dans toute cette lumière, un peu comme un aveugle, ou un sacré myope. Même une semaine après mon arrivée, je cherchais encore les interrupteurs le long des murs, les serrures dans les portes. Je ne voyais rien de ces choses-là.

Dès notre arrivée en Catalogne, mon Catalan m'a demandé : qu'est-ce que tu vois ? J'étais content qu'il me pose la question, sinon j'aurais pu oublier la réponse dans l'enchevêtrement de mes émotions mêlées. Grâce à lui, nous n'oublierons pas.

J'ai regardé par le hublot de la voiture. Nous roulions sur l'autoroute, entre des collines ocreuses sur lesquelles s'accrochaient des arbustes de peine et de misère. Ça sentait la Méditerranée jusque dans le creux des rochers. J'ai sûrement vu passer des oliviers, à ce moment-là, mais je ne savais pas les reconnaître. J'étais absolument fasciné par l'état des collines, si friables qu'on aurait dit qu'un sourire les ferait craquer. D'ailleurs elles craquaient de partout. Je devais sourire beaucoup.

"L'érosion", que j'ai répondu. "On dirait que tout s'effrite." Silence dans l'auto. Je me demande si mon Catalan s'attendait à cette réponse. Puis, entre deux rayons de soleil, j'ai regardé les villages qui bordaient la route. Ils étaient tous en pierre, de la même pierre que les collines. Les maisons s'effritaient donc elles aussi et un j'ai senti un gouffre immense s'ouvrir - un gouffre métaphysique, s'entend. Ça donne le vertige, quand même, de voir l'âge d'une maison dans l'usure de sa pierre plutôt que dans la pourriture du bois, dans la rouille ou dans la peinture qui décole. "Le passé", que j'ai fini par ajouter. "Il est presque indécent."

Il y avait, en effet, beaucoup trop de pierres nues pour mes yeux vierges d'Europe. On aura beau dire qu'à Montréal les gratte-ciels côtoient des vieilles églises et que c'est tout un contraste, les vieilles églises européennes côtoieront toujours d'autres églises encore plus vieilles, vieilles comme des montagnes - et entre elles se faufileront des voitures, comme celle où j'étais. Tout était si vieux que je me disais que ça n'avait pas de bon sens. C'était presque trop. Oui, j'aurais voulu porter plainte pour attentat à la pudeur, car j'étais historiquement pudique. J'aurais voulu des pancartes : monument historique. Mais il aurait fallu en mettre partout, au point où les choses en auraient été cachées. Aucune pancarte, donc : que mon propre jugement devant des vieilles roches.

Évidemment, j'avais le goût de pleurer tant j'étais ému. Un peu comme un bébé qui regarde tout pour toute la première fois.

4 commentaires:

gwenaelle a dit...

:)

c'est beau.

si-mon! a dit...

oh oui, c'est si beau!

gousse, tu es mon écrivain préféré!
je suis si heureux d'écrire une série avec toi! (rouge)

\(joie)/

Benoit Bordeleau a dit...

Je viens tout juste de découvrir ce blogue et je dois dire que j'aime bien ce que tu écris. Si seulement tous pouvaient s'émerveiller du monde de cette façon...

La gousse craintive a dit...

Bon sang :)

Merci :)