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2010/02/26

Place Omonia

Un jeune homme, qui aurait pu être joli n'eût été son strabisme, m'adressa la parole. "Désolé, je ne parle pas grec", lui dis-je. Il replongea aussitôt dans la foule. Et pendant que je me dépêchais à rejoindre mon Catalan, qui avait trouvé un peu d'ombre où déguster nos baklavas gorgés de miel, je me disais que, ne sachant pas reconnaître la langue grecque, il n'y avait bien qu'un endroit au monde où, devant un jeune homme et son charabia, je pouvais dire "Désolé, je ne parle pas grec", et cet endroit, c'était la Grèce elle-même. C'est là, bien avant l'Acropole, que je réalisai où j'étais rendu : Athènes.

2009/11/03

Les grandes chaleurs

Cet été, j'ai passé mes deux premières journées à Barcelone chez des amis que nous avions déjà hébergés à Montréal. Ils vivaient dans une tour à condos, non loin de la mer, mais leur appartement donnait sur le côté opposé à la Méditerranée. Le soir, on avait beau ouvrir les fenêtres, l'air passait à peine. Or, les deux jours passés chez eux furent deux jours de canicule. À la télé, il était question de vents africains venus semer la désolation et la sécheresse sur la péninsule ibérique. Vraiment, l'idée d'être un jour confronté à des vents venus d'Afrique ne m'avait jamais traversé l'esprit jusque-là. La nuit, dans mon lit, je m'indignais de devoir affronter de tels climats. Je guettais la montée des températures. Comme je ne pouvais ouvrir la fenêtre de ma petite chambre, j'étais certain que je cuirais comme dans un four durant mon sommeil. Si j'ouvrais, l'écho des voitures et surtout des motos était tel que j'avais l'impression d'être étendu directement sur la chaussée. C'est que les rues de Barcelone sont de véritables caisses de résonance.

Incapable de dormir, je m'échappais parfois d'une vague somnolence pour envisager l'effort que représenterait le simple fait de me retourner. J'hésitais à le faire, car en plus de l'effort, je devrais affronter le dégoût de découvrir à quel point les draps, sous mon corps en sueur, étaient mouillés. C'est finalement quelque pulsion claustrophobe qui me faisait bouger, la comparaison de ma situation à celle d'être enfermé dans un four l'emportant sur mes hésitations de paresseux. Je me retournais donc, agacé, pour échapper à une mort délirante.

Deux jours plus tard, la situation ne s'améliorait pas. Je suais la nuit et suais le jour. Il n'y avait aucun répit, sauf dans le métro, où je me surprenais à souhaiter des pannes qui allongeraient inutilement le trajet climatisé. Cependant, nous avons changé d'appartement, car mon Catalan, grâce à ses nombreux contacts, avait réussi à nous dénicher une chambre chez un autre ami, où nous pourrions loger tout le mois de juillet pour la bagatelle de 150 euros. Là-bas, la configuration des lieux nous promettait des jours plus aérés et frais, mais à peine avions-nous déposé nos lourds bagages que nous devions faire nos sacs en vue d'une escapade dans les Pyrénées françaises. Je me souviens très bien d'avoir fourré un pull dans mon sac et d'avoir trouvé cela totalement absurde. Rien que de tenir ledit vêtement me faisait suer davantage. Je ne pouvais croire que dans cette canicule, qui me faisait déjà assez souffrir, je devais avoir encore plus chaud, le temps d'envisager d'avoir improbablement froid dans les montagnes.

2008/12/18

Souvenir de Wildwood

Malgré tout ce que l'on raconte sur le réchauffement du monde, la mer, en 2003 à Wildwood, ne s'était toujours pas réchauffée. Nous trempions timidement l'orteil dans ces eaux glaciales où flottaient les méduses, seule source probable de brûlures. Au loin, deux dauphins passaient. Nous sommes restés sur le sable, à croquer des fromages et à réciter des vers, spectacle étrange pour la gente suintante et vulgaire de cet endroit. Parfois, une belle créature passait et nous suspendions nos mots à plus tard pour mieux accrocher nos regards à ces corps. C'était de beaux moments. Et nous rentions le soir au môtel, la peau brûlée par le soleil, car nous avions oublié ses ardeurs à trop nous méfier des jellyfish qui s'échouaient à nos pieds.

2008/07/04

Dans la forêt des mal-aimés

En Catalogne il y avait une plage bordée d'un boisé fréquenté par de nombreuses créatures masculines. C'était une forêt des mal-aimés, un repère à bears habillés d'un simple cock ring. Mon Catalan et moi avions peur de ces rencontres et devions prendre garde où nous mettions les pieds, car nous passions souvent par des talles de condoms. Je n'ai jamais vu autant de préservatifs que dans ces fourrés.
Nous avons rejoint la Gousse-mobile avant le coucher du soleil et fuit ces lieux sinistres.

2008/07/01

Entendu en Catalogne

L'Espagne est bien capable de crever l'oeil qui la nourrit.

2008/06/30

Sudbury et Valence

En Catalogne, demander à un étranger s'il est déjà allé en Espagne, c'est comme demander, à celui qui arpente les rues du Vieux Québec, s'il est déjà allé au Canada. La question, bien qu'elle puisse sembler absurde à ceux de l'extérieur, est révélatrice de ce qui se passe à l'intérieur. L'Espagne se prend par morceaux, on n'en fait pas qu'une bouchée. Et bien sûr, je mords dans le meilleur, ce petit coin du nord-est qui résiste toujours et encore à l'envahisseur. Comme nous en Amérique.

- Non, je ne suis jamais allé en Espagne, ai-je répondu au Catalan qui me questionnait.
- Ah mais si, tu es allé à Valence.
- Mais c'est un pays catalan.
- C'est déjà l'Espagne, dit-il amer de mettre en évidence ce recul de sa culture.

J'ai beau chercher, je ne trouve pas d'équivalent au Québec. Le Pontiac ? Les Cantons de l'Est ? Le West Island ? Rien de tout cela n'a l'ampleur de l'inexorable érosion du royaume de Valence et de ce que cela représente pour les pays catalans. C'est sous le spectre du Canada français, ou mieux, de l'Amérique française, qu'un semblant d'analogie est possible: tous ces francophones hors-Québec (Cajuns, Acadiens, Franco-ontariens) qu'on a peut-être laissé tomber pour mieux nous affirmer et qui, chaque jour, se dissolvent dans ce grand melting-pot anglo-saxon qui, tel le Blob, avale tout. Mais encore l'analogie s'arrête là où se dresse l'imposante culture de ces pays millénaires. Perdre Sudbury n'est pas comme perdre Valence.

Retour

J'ai fait un très beau voyage dans les pays catalans. Mais laissez-moi commencer par la fin: dans la file des passagers qui montaient à bord de l'avion pour retourner à Montréal, j'entendais l'accent québécois pour la première fois depuis longtemps. Chaque éclat de voix, chaque mot prononcé me ramenait un peu plus dans mon pays à moi, grugeait un peu plus de mon rêve catalan jusqu'à ce qu'il n'en reste plus, dans l'avion, que des souvenirs. Je ne trouve jamais les mots plus agressants que lors du voyage de retour.

2008/06/05

Catalogne 2008

Ça y est, c'est le jour du grand départ pour la Catalogne (bis). Ne soyez pas surpris de mon absence. Je reviens chez nous à la fin du mois.

2008/04/24

Arriver quelque part

La cathédrale de GironaJ'ai déjà dit sur ce blogue qu'en débarquant dans un pays nouveau, on est ébloui. Mais je n'ai pas dit qu'au bout de quelques jours on finit par voir quelque chose, on finit par se rendre compte qu'on est rendu quelque part. En Catalogne, ça m'est arrivé après trois jours, dans la cathédrale de Girona.

Mon Catalan et moi venions de quitter sa ville natale pour parcourir des bouts de campagne et des petits villages que ni lui, ni moi (bien sûr) ne connaissions, pour arriver en fin de journée à Girona. Le but avoué de cette excursion était d'aller chercher une amie catalane qui arriverait à 19h30 à l'aéroport de la ville. À 18h30, Girona se profilait à l'horizon et la lumière de plus en plus oblique du soleil rendait éclatante l'imposante cathédrale blanche. Sa domination sur la ville était visible à des kilomètres. Jusque-là je n'avais vu que de sobres églises romanes et la modeste et hétéroclite cathédrale de Solsona, or j'avais devant moi ma première véritable cathédrale européenne, aussi bien dire ma première véritable cathédrale, c'est-à-dire issue de ces élans de foi qui poussaient les hommes au grandiose. Non pas que la foi m'excite, mais j'ai un faible pour les fièvres et leurs effets.

Girona sur rives du TerEnfin, nous entrons dans la ville et mon Catalan m'annonce que nous passerons par la cathédrale avant d'aller chercher l'amie à l'aéroport. Quoi? Mais nous n'avons que quelques minutes, ne pourrions-nous pas plutôt aller la chercher et revenir ensuite, ou même demain, quand nous ne serons pas pressés? Non, Gousse, cette cathédrale est très belle, il faut que tu la vois. Raison de plus pour revenir quand nous aurons le temps, non ? Non. Il a garé la voiture sur le bord du Ter, le fleuve qui traverse la ville. Je l'ai suivi à contre-coeur dans les rues étroites, tentant d'absorber tout ce que je voyais malgré la hâte et notre pas de course. À l'église, il fallait payer. "Catalan, ça n'a aucun sens de payer, nous n'avons que dix minutes. Revenons plus tard avec ton amie", ai-je suggéré. "Non, nous avons le temps", m'a-t-il répondu. Tout ceci n'avait aucun sens, mais j'ai payé quand même. Puis je suis entré dans la nef. Et c'est là, oui là, que je me suis rendu compte que j'étais rendu quelque part.

Le cloître de la cathédraleC'est que je ne m'y attendais pas, voyez-vous ? Mon Catalan avait quelques pas d'avance sur moi, mais quand il s'est retourné, il a vu les larmes qui coulaient sur mes joues. Qu'est-ce qui se passe ? s'est-il inquiété. Oh, c'est trop beau, ai-je répondu. Je souriais en essayant vainement de retenir mes larmes. Je riais même, par moment, mais parfois aussi j'avais de véritables sanglots, avec le hoquet et tout, et tout. C'était incontrôlable. Même dehors, même de retour dans l'auto, en retour vers l'aéroport, je pleurais encore. C'est qu'on en vient à se dire que le monde a de très beaux endroits à offrir et que ça tombe bien parce qu'on est justement là à en profiter. Mais l'endroit est si beau qu'il entraîne le sentiment encore plus loin: le monde a de très beaux endroits à offrir et il est en train de m'en offrir un, à moi, maintenant. Je n'avais qu'à venir ici, c'était là, tout ce temps, ça s'offrait.

Et c'est là que le voyage commence vraiment. Dans cette communion.

2008/02/19

Cette nuit j'ai fait mon premier rêve de Barcelone, depuis mon voyage là-bas cet été. J'étais avec Pb à un terminus d'autobus. Nous avons marché dans les environs, nous nous pâmions pour les draps qui séchaient, pendus aux fenêtres des rues étroites. Puis j'ai remarqué que le quartier n'était peut-être pas recommendable aux touristes. Je suis retourné au terminus, ai cherché en vain une ligne pour le centre-ville, ai pris le premier car pour nulle part. Me suis retrouvé au bord du fleuve, le Saint-Laurent.

C'était un tout petit voyage, une timide visite onirique, mais voilà, j'ai demandé mes vacances au patron. Si tout se passe comme prévu, je retourne en Catalogne en juin.

2007/10/05

La tour de la Mignonne

Enfants, nos parents nous punissaient en nous envoyant dans notre chambre. Certains parents sont toutefois plus sévères que d'autres. Le duc de Cardona, qui n'aimait pas que sa fille, Adelà, s'amourache d'un arabe, l'a faite enfermer dans la tour du château, où elle n'était nourrie que de pain et d'eau fraîche. La punition fut si sévère et si longue que la pauvre Adelà finit par en mourir.

Le Catalan et moi, qui passions par-là, ne pument résister à l'envie de l'appeler par la grille de son cachot : "Minyona! Minyona!", criâmes-nous d'une voix nasillarde et moqueuse. L'appel, entouré de nos ricanements puérils et cruels, rebondit sur les parois sombres et froides de l'endroit. C'est tout ce qu'il reste aujourd'hui, dans cette cellule, de la pauvre princesse et son sinistre destin : l'écho de son nom lancé par deux iconoclastes du 21e siècle.

2007/09/20

Être un enfant quelque part

Machu Picchu est habitée par une population silencieuse d’hirondelles et de lézards. C’est ce qui m’avait frappé, là-bas, les animaux et le silence. Puis, la matinée suivant son cours, une équipe de tournage est même venue enregistrer quelques scènes d’un soap péruvien. Ailleurs, dans les ruines d’un ancien temple, des touristes européens imposaient leurs mains au-dessus de « la stèle ». Railleurs, nous suggérions de revenir au solstice, quand la stèle se transforme en puma – on n’a pas idée de la quantité de roches qui se transforment en animal, les jours de solstice, au Pérou. Puis nous avons pris un petit sentier étroit longeant une falaise. Je me souviens d’y avoir mangé des fraises.

Enfant, je croquais souvent des fraises qui poussaient un peu partout autour de la maison. Il y avait aussi des bleuets, des framboises, toutes sortes de fruits. Je croquais de tout au rythme de mes jeux. Il y avait de grands pins où nous aimions grimper, mes amis et moi. Nous en faisions des maisons ou des fusées, selon notre imagination. Derrière la maison, il y avait un petit bois, tout en pins, où l’on trouvait toutes sortes de choses qui rendaient l’endroit surréaliste : un poulailler avec des lapins, les restes d’un autobus scolaire calciné, des champignons et deux chevaux. Chaque jour, je traversais cet endroit fabuleux pour rejoindre Karim, qui vivait de l’autre côté. Plus loin encore, il y avait des clairières et des champs oubliés, puis des lacs où mon père nous amenait pêcher, puis encore plus loin, quand nous étions au bon endroit pour les apercevoir, il y avait des collines, bleuies par la distance, qui me faisaient rêver tant elles me semblaient inaccessibles.

À Machu Picchu, je me suis demandé ce que se serait, d’avoir de son enfance les images de cette cité inca. Qu’est-ce que c’était, d’être enfant dans les Andes, dans une ville au sommet d’un pic, d’apercevoir un fleuve qui coule, en bas, lorsqu’on se risque à étirer le cou au-dessus, puis lever la tête vers les autres pics des environs ? Qu’est-ce que c’était, de courir en riant dans les rues étroites ? Y avait-il des hirondelles ? Des lézards ? Quels souvenirs gardait-on de son enfance, à Machu Picchu ?

J’y ai repensé, à Solsona, en Catalogne, quand Èric m’a entraîné dans ses propres souvenirs d’enfance. Nous marchions sur un chemin de terre, le long d’un champ en face de chez lui. C’était un champ de blé, tout doré, qui descendait de plus en plus vite à mesure qu’il s’éloignait du chemin, jusqu’à disparaître derrière une crête, cédant le paysage à des collines houleuses, toutes couvertes de blés, qui prenaient de l’ampleur à mesure qu’approchait l’horizon, jusqu’à s’ériger en véritables montagnes : les Pyrénées. Nos pas faisaient crépiter le sol rocailleux sous nos pieds. Dans les quelques pins épars que nous croisions se cachaient des tourterelles dont le chant n’avait pas la tristesse qu’on leur connaît, au Québec. En Catalogne, les tourterelles ne sont pas tristes.

Ma première journée en Catalogne tirait à sa fin. Lentement le soleil tirait sa révérence. Èric m’emmena de l’autre côté du champ, où se dressait une petite église romane sur laquelle se jetait la lumière oblique du soir. La pierre jaunâtre brillait, les champs dorés aussi, le soleil encore plus. On dirait que la Catalogne est faite pour recevoir le soleil.

Nous sommes montés sur le toit de l’église – elle avait quoi, sept cents, huit cents ans ? Là-haut, ça sentait les pins, le blé, la terre cuite et le romarin. La lune montrait son premier quartier. L’heure était à la contemplation. J’ai murmuré : « Qu’est-ce que ce devait être, quand même, d’être enfant ici, d’avoir tout ceci comme terrain de jeu, dans ce décor. » Et Èric d’acquiescer. Et moi de sourire. Je me sentais comme un enfant, dans ce pays que je ne connaissais pas. La réponse à ma question, je l’avais.

2007/09/10

Je l'ai déjà dit sur ce blogue, mais je le redis: c'est une bonne idée, quand même d'avoir de la musique en voyage. J'écoute l'Heptade et - magie - je vois les Champs Élysées. Je ne voyais pas ça, avant.

2007/09/05

Els Països Catalans

Ça y est, c'est fait, un mois et demi après mon retour : mes photos de voyages dans mon photorama.

2007/08/30

Premier regard sur Montserrat


Lorsqu’on aperçoit la silhouette en dents de scie de Montserrat se profiler à l’horizon, on ne doute pas un seul instant que cette montagne ait été sacrée. Depuis la banquette arrière de la voiture, encore sonné par mon récent atterrissage, je regardais la montagne en rêvant aux sorcières qui ont dû se réfugier là-bas, aux fées qu’on a dû apercevoir entre les pics, aux sorciers qui se targuaient de relations privilégiés avec les démons de la montagne … au sang versé – l’Europe est si vieille qu’on peut se demander s’il reste encore des endroits où du sang humain n’a pas coulé. Ah! que de contes de fées ont dû naître autour de Montserrat. Et qui sait s’ils n’en reste pas quelque trace dans nos versions de Cendrillon et de Peau d’Âne ?

Aujourd’hui, sur les flancs de la montagne, un monastère abrite la légendaire Vierge noire – comme quoi le sacré n’est pas mort. Des milliers de touristes et de pèlerins font la queue chaque jour pour voir de près la statuette noircie par la fumée des lampions allumés par les fidèles et autres suppliants.

Nous nous sommes arrêtés au pied de la montagne. Le monastère était perché là-haut. Mon premier monastère perché sur une montagne. J’aurais pu dire : « On se croirait en Europe », mais nous y étions vraiment. Puis, un funiculaire nous a soulevés de terre. Nous montions, dans un heureux silence, vers la montagne, fenêtres grandes ouvertes pour laisser entrer une douce brise. Quand je sortais la terre pour regarder passer la route, loin en bas, j’oubliais presque la cage du funiculaire et c’était comme si je m’envolais vers Montserrat, parmi les papillons et, plus haut, les hirondelles qui vivaient sous les corniches du monastère. Je brandissais ma caméra, pour immortaliser cet envol et le défilé des étranges et fascinantes colonnes de roche qui formaient la montagne.

2007/08/17

Premier regard sur l'Europe (bis)

J'ai toujours l'impression de débarquer en catastrophe des avions, comme si j'ai été catapulté de chez moi, à califourchon sur une roche, pour me retrouver là, patatra dans un nouveau monde, sans trop comprendre. C'est à cause de mon hébétude. Je me rends compte que je suis là, complètement hagard, épuisé par le trajet mais excité par ce qui m'arrive. Je sors de l'aéroport et c'est comme un raz-de-marée qui me ramasse - à cause des sens. Naître ne doit pas être bien différent. On découvre qu'il y a de l'air, une odeur, une température, et surtout une lumière. La lumière est différente à Barcelone. Ici, on dirait qu'elle coule sur les choses, comme de l'eau. Là-bas, elle irradie. Tout brille, alors qu'ici tout est éclairé. C'est quelque chose, quand même, de basculer dans un monde qui brille, rapport que ça éblouit. Puis on avance à tâtons dans toute cette lumière, un peu comme un aveugle, ou un sacré myope. Même une semaine après mon arrivée, je cherchais encore les interrupteurs le long des murs, les serrures dans les portes. Je ne voyais rien de ces choses-là.

Dès notre arrivée en Catalogne, mon Catalan m'a demandé : qu'est-ce que tu vois ? J'étais content qu'il me pose la question, sinon j'aurais pu oublier la réponse dans l'enchevêtrement de mes émotions mêlées. Grâce à lui, nous n'oublierons pas.

J'ai regardé par le hublot de la voiture. Nous roulions sur l'autoroute, entre des collines ocreuses sur lesquelles s'accrochaient des arbustes de peine et de misère. Ça sentait la Méditerranée jusque dans le creux des rochers. J'ai sûrement vu passer des oliviers, à ce moment-là, mais je ne savais pas les reconnaître. J'étais absolument fasciné par l'état des collines, si friables qu'on aurait dit qu'un sourire les ferait craquer. D'ailleurs elles craquaient de partout. Je devais sourire beaucoup.

"L'érosion", que j'ai répondu. "On dirait que tout s'effrite." Silence dans l'auto. Je me demande si mon Catalan s'attendait à cette réponse. Puis, entre deux rayons de soleil, j'ai regardé les villages qui bordaient la route. Ils étaient tous en pierre, de la même pierre que les collines. Les maisons s'effritaient donc elles aussi et un j'ai senti un gouffre immense s'ouvrir - un gouffre métaphysique, s'entend. Ça donne le vertige, quand même, de voir l'âge d'une maison dans l'usure de sa pierre plutôt que dans la pourriture du bois, dans la rouille ou dans la peinture qui décole. "Le passé", que j'ai fini par ajouter. "Il est presque indécent."

Il y avait, en effet, beaucoup trop de pierres nues pour mes yeux vierges d'Europe. On aura beau dire qu'à Montréal les gratte-ciels côtoient des vieilles églises et que c'est tout un contraste, les vieilles églises européennes côtoieront toujours d'autres églises encore plus vieilles, vieilles comme des montagnes - et entre elles se faufileront des voitures, comme celle où j'étais. Tout était si vieux que je me disais que ça n'avait pas de bon sens. C'était presque trop. Oui, j'aurais voulu porter plainte pour attentat à la pudeur, car j'étais historiquement pudique. J'aurais voulu des pancartes : monument historique. Mais il aurait fallu en mettre partout, au point où les choses en auraient été cachées. Aucune pancarte, donc : que mon propre jugement devant des vieilles roches.

Évidemment, j'avais le goût de pleurer tant j'étais ému. Un peu comme un bébé qui regarde tout pour toute la première fois.

2007/08/07

Heureux qui comme Ulysse

La musique souvent me prend comme une mer!
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile;

- Charles Baudelaire

La Catalogne était revenue de son pays, ses bagages jonchaient encore, épars, le sol de notre chambre. Nous étions tous deux allongés, c'était de belles retrouvailles. Puis elle s'est levée, je l'ai entendue marcher jusqu'au salon, mettre un disque dans le système de son. Je devinais ce qu'elle faisait. J'ai fermé les yeux et, pendant que le système chargeait la musique dans les circuits, la Catalogne est venue me rejoindre.

On ne peut pas dire que notre voyage ait été très riche, musicalement parlant. Nous n'avions, pour nous divertir l'oreille, que quelques disques, pas les meilleurs, à faire jouer dans l'auto. Cependant, au fil des kilomètres, certaines chansons se sont distinguées des autres, des chansons que je n'ai entendues que dans l'enceinte de notre véhicule. Et voilà que la Catalogne ramenait ces musiques d'Europe, les portant à mon oreille pour que, bien installé dans le lit, je puisse revoir en songe les routes que nous avons parcourues avec elles. Les images fusaient. C'était comme une éruption dans ma mémoire et mes paupières servaient d'écran sur lequel se projetait mes souvenirs. Je revoyais la route, la lumière si blanche du soleil catalan, les châteaux sur les collines, les ruines d'églises gothiques oubliées dans un champ, les vignobles, les oliviers plantés en rangs, la mer... C'était comme un geyser que je devais contenir. Et bien sûr je ne retenais pas tout. La mémoire est si fluide, elle glissait de mes yeux fermés pour ruisseler sur mes joues. C'est fou comme ça coulait, un vrai torrent, au point où la Catalogne s'est inquiétée. J'ai dû jurer qu'il n'y avait là que matière à souvenirs, que ces larmes ne cachaient aucun monstre abyssal.

Puis la musique s'est arrêtée, j'ai pu reprendre mes esprits, ouvrir les yeux et me retrouver échoué dans mon lit.

2007/07/18

Premier regard sur l'Europe

Je crois bien que c'était au Portugal. Nous venions de traverser l'Atlantique et je jetais un oeil par le hublot de l'avion. Les nuages se dissipaient peu à peu et j'ai pu distinguer quelques montagnes, puis rapidement j'ai reconnu des éoliennes, des éoliennes par centaines, perchées sur les crêtes des collines.


Pour moi qui m'en allais en Espagne, pays de don Quichotte, ces moulins à vents étaient un très bon signe.

2007/07/17

Back in Town

Hier matin, je rêvais que je payais en euros une somme réclamée en dollars canadiens. Je me suis réveillé très confus. Je ne comprenais pas cette porte entre-ouverte, ce mur, ce lit. Ce n'était pas l'appartement de Barcelone ni la maison d'été de la grand-mère, à Vilafortuny. C'était chez moi, mon lit, ma chambre, 6h du mat. Bang. Je suis tombé par terre - métaphoriquement, s'entend.

Une fois debout, j'ai fait la lessive. Impossible alors de résister à l'envie de renifler chaque pièce de linge sale. Des parfums de Catalogne y traînaient encore, comme des spectres, mêlés à ma sueur et à la crème solaire. Puis, pendant que la machine effaçait ces traces, je suis allé déjeuner dans un boui-boui non loin de chez moi.

Au resto, je me suis empressé de commander des oeufs et du bacon, accompagnés de fruits. La serveuse m'a versé un café filtre que je n'ai pas détesté. Les oeufs auraient pu être mieux cuits, mais je ne m'en suis pas plaint, trop heureux de manger un vrai déjeuner après trois semaines de croissants. Les Européens ne déjeunent pas : ils petit-déjeunent. Et quand ils disent "petit", they mean it.

Après le déjeuner, j’ai pris le métro. J’avais quelque chose d’important à faire, une chose à laquelle je tenais depuis mes premiers instants en Catalogne : aller voir le fleuve. Sur l’île Sainte-Hélène, j’ai trouvé un endroit où on pouvait descendre jusqu’à l’eau. Une pierre toute plate m’invitait à m’installer là.

À deux reprises des Catalans m’ont demandé ce qu’était un fleuve. Pour eux, il n’y a que quelques petites rivières et de nombreuses ribieras (il me semble que c’est le mot), des moins-que-rivières, des rivières de circonstances qui n’apparaissent qu’aux jours de pluie. En survolant Barcelone, à notre arrivée, mon Catalan m’a dit : « Regarde, ça c’est notre fleuve. » J’ai vu un espèce de chemin marécageux se faufiler entre des usines avant de mourir, épuisé, à plusieurs mètres de la mer. « Nous l’avons dévié pour qu’il sorte maintenant là », et il m’indiquait un timide chemin d’eau qui, lui, rejoignait la Méditerranée. « Pourquoi avez-vous fait ça ? » ai-je demandé. « Parce que c’était plus commode de l’avoir là. » En imaginant le Québec faire la même chose au Saint-Laurent j’ai eu froid dans le dos. C’est à ce moment que j’ai réalisé toute la grandeur de notre fleuve, si large qu’on finit par ne plus voir l’autre rive, si grand que les mots finissent par manquer et qu’on l’appelle la mer.

Hier matin, j’ai tenu la promesse que je m’étais faite. C’était une bonne idée. Sur la roche plate, j’ai regardé l’eau couler pendant de longue minutes. J’avais eu peur de vômir en arrivant, j’avais eu peur de la laideur, mais finalement Montréal, de l’autre côté du fleuve, était belle. Ce n’était pas une beauté méditerranéenne, mais nord-américaine, faite non pas d’harmonie, mais de contrastes. Et c’est là, vraiment, que mon voyage a pris fin.

Dans les prochains jours, je vous conterai tout.

Montréal

2007/07/16

2250 photos. Sans compter les vidéos. Je crois que je suis fou.