2008/05/21

Grosse qui outre et lui qui passe outre

Je vais vous raconter une histoire. C'était dans un Tim Horton's du Québec profond où j'avais décidé d'arrêter pour me prendre un café. Il me restait encore beaucoup de route à faire et j'avais besoin d'un peu de chaleur dans la Gousse-mobile.

Je faisais la queue, comme tout le monde. Elle n'était pas très longue, mais elle n'avançait pas vite. À un moment donné une grosse femme est entrée. Elle devait avoir dans le début de la vingtaine, très grosse et d'apparence à la fois soignée et sensuelle, le genre de grosse qui n'a pas honte de sa taille, tout au contraire, elle considérait ses courbes comme un atout. Une grosse femme fatale, quoi, un immense assemblage d'attraction et de rétention qui va dans la vie en revendicant tout. Tout lui revient et pour cette raison elle refuse tout effort et ne travaille pas, préférant se laisser entretenir soit par un homme, soit par la famille, soit par l'État. Souvent par une combinaison des trois.

À moi, que la nature a rendu pratiquement insensible aux appâts féminins, ce genre de femmes, qui croient que rien ne leur résiste et qu'elles peuvent prendre tout ce qu'elles veulent, m'inspire d'autant méfiance que leur grosseur signifie qu'elles veulent beaucoup, beaucoup plus que le commun des mortels. Elles veulent à outrance, ces femmes outrancières. Bref, cette femme est entrée et je me suis senti outré. Elle m'outrait.

Elle était accompagnée d'un homme plus âgé et gros, tout de même, quoique moins imposant. La longueur de ses cheveux blancs suggérait qu'il considérait les salons de coiffure comme une dépense inutile. Il portait sa chemise à carreaux dans ses pantalons, lesquels étaient maintenus bien en haut de sa taille, autour de son ventre, par une ceinture qu'il serrait, on imagine, autant que les cordons de sa bourse. Les deux faisaient une drôle de paire, elle si éclatante et boulimique, lui si fade et radin. Mais les traits de leur visage (et peut-être aussi l'ampleur de leurs panses) suggéraient un lien de parenté.

En entrant, la grosse a pris tout de suite des airs familiers. Elle connaissait les employés au point de s'aventurer dans la cuisine pour jaser. L'homme, lui, attendait près de la porte jusqu'à ce que, profitant d'une caisse libérée, il s'approche pour commander un cappucino glacé au nez de tous les pauvres clients (dont moi-même) qui attendaient. Un héros, qui me précédait dans la file, l'a alors interpelé pour lui rappeler que la queue commençait là-bas et qu'il passait devant tout le monde. Le sale porc se retourne, lui lance un regard méprisant et hausse les épaules: "C'est pas plus grave que ça." Le héros lui parle ensuite de savoir-vivre mais n'obtient aucune réaction, sinon d'un autre client (un autre héros) qui, depuis la caisse où il est déjà rendu, reproche haut et fort l'effronterie de l'effronté. Le sale porc, de plus en plus agacé, lance un truc que je n'ai pas compris dans le détail à cause de bruit, mais qui, assez clairement, se résume à ce que les files d'attente étaient pour les imbéciles et les niais. Puis il va s'asseoir savourer cette boisson froide que Karla Homolka rêvait de déguster à sa sortie de prison. Et pendant qu'il s'éloigne, le premier héros lui fait remarquer qu'avec une pareille attitude, il ne devait pas avoir beaucoup d'amis.

L'instant d'après, je commandais mon petit café noir et infect et je retournais dans la Gousse-mobile en me disant que ce sale porc ferait mieux d'être plus poli avec ces "niais" qui attendent, car sans leur docilité, cet homme, pour avoir son cappucino, devrait se battre avec eux.

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