2008/09/16

Mon combat

J'ai d'abord pensé que ma vie était un long combat contre la fatigue, jusqu'à ce que je range le réveil-matin dans un tiroir. Il suffit d'avoir un emploi à horaire flexible et la fatigue s'envole, pour ne revenir nous hanter que de temps en temps, quand on l'a bien cherché, à se saoûler de café sans raison ou à se stresser pour pas grand chose. On dort mal une nuit puis on se reprend la nuit suivante et le tour est joué. Ça n'a rien de sorcier. Récupérer d'une ou deux mauvaises nuits est aussi facile que de satisfaire sa faim après avoir sauté un repas. On dort un bon coup et on se sent bien. Problème réglé.

Mais le combat, lui, dure toujours, car le véritable ennemi est le sommeil. Ou plutôt l'éveil. Ma vie est un long combat contre l'éveil. M'étendre dans mon lit et fermer les yeux ne suffit pas. Ne penser à rien non plus. Quatre heures plus tard, je dors enfin, sans que j'aie moins pensé, pendant que je pensais probablement à quelque chose, ou peut-être à rien du tout car j'ai des années d'expertise dans le domaine, les yeux toujours fermés, toujours dans mon lit. Il faut se rendre à l'évidence, si je réussis enfin à m'endormir, quatre heures après m'être couché, ce n'est pas grâce à mes efforts. Il y a autre chose. Le problème est, je crois, d'ordre sémantique.

Les spécialistes du sommeil donnent tous la même recette pour régler les problèmes de sommeil. Il faut se lever et faire autre chose si on ne dort pas après vingt minutes. Il faut absolument refuser que le fait de se coucher soit associé à autre chose que le sommeil. Même le sexe. Non, c'est une blague. Sauf le sexe. Mais quand on en est à sa ennième semaine d'insomnie, je me dis fuck it, même le sexe. Parallèlement à ces pieuses manoeuvres, il faut développer une routine qui sera rigoureusement exécutée chaque nuit, à la même heure, avant d'aller se coucher. Peu importe les détails de cette routine, pourvu qu'ils ne soient pas excitants. L'idée est que le corps en vienne à associer cette routine au sommeil.

Et ça marche. Après quelques jours, ça dort tout seul. On se couche et bang. On a beau avoir la tête ailleurs, le sommeil est irrésistible et on passe alors plusieurs nuits de pur bonheur. Mais les semaines passent et on finit par retourner à la case départ. On a beau avoir fait tous les gestes, tous les rituels, prononcé toutes les incantations, balayé tous les tracas, imposé tous les vides à son esprits, rien n'y fait. Les heures avancent et la fatigue aussi, mais le sommeil, lui, n'est plus au rendez-vous. C'est que la routine, après un certain temps, ne veut plus rien dire. Elle se fait toute seule, automatiquement, sans qu'on s'en rende compte, et l'esprit part divaguer ailleurs, se concentre sur quelque trivialité, jusqu'à ce qu'il découvre que minuit a passé, qu'il est deux heures et que, aïe! demain sera pénible. Vite, dormir ! dormir ! Bref, la routine de sommeil produit exactement le contraire de ce qu'on attend d'elle.

Puis j'entends la Catalogne sortir de la pièce d'à côté pour aller se chercher un verre d'eau dans la cuisine. Elle a fait ses devoirs toute la nuit et vient sûrement se coucher. Chacun de ses pas m'enfonce un peu plus dans le sommeil, mon corps s'épuise, je me sens cogner des clous. Fausse alerte, la Catalogne retourne à ses devoirs. Deux heures plus tard, je l'entends à nouveau marcher, elle va se brosser les dents, ma conscience titube. C'est l'heure. La Catalogne s'allonge à mes côtés, mon éveil ne tient plus qu'à un fil. La Catalogne dort déjà, je l'entends dans sa respiration. Et aussitôt je m'endors. Voilà pourquoi je dis que le sommeil est un problème de sémantique. Plus rien n'arrive à signifier le sommeil à mon corps sinon le sommeil des autres. Je ne peux plus dormir seul.

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