Sorel my love
Sorel a ses îles, qui s'inondent au printemps et pètent au frette en hiver. Certaines de ces îles sont si rapprochées que les arbres de chaque côté se rejoignent pour faire, en été, une voûte de verdure. En automne, je ne sais pas, j'imagine que les chenaux étroits se couvrent d'un tapis multicolore à mesure que les branches se dégarnissent. Si vous ne saviez pas que Sorel a ses îles, vous devriez peut-être y aller faire un tour, mais juste peut-être, pas plus, ou lire Le Survenant, mais ça c'est plus impératif, rapport qu'à l'université on nous parlait de mythe fondateur et que dans un cours sur le téléroman, les madames assises en avant soupiraient de chaleur chaque fois qu'on évoquait le personnage. Lire Le Survenant, donc, par acquis de conscience plus que par plaisir, peut-être, puis aller voir là-bas si c'est vraiment aussi beau qu'on le dit. Une réserve de la biosphère, quand même, a le devoir de charmer l'oeil, se dit-on.
Les Européens pensent à bien des choses quand ils viennent visiter le Québec, Montréal, Québec, Tadoussac, la Gaspésie, mais pas à Sorel. On évoque le nom et les voilà qui parlent de Le rouge et le noir, puis on glousse tous ensembles en évoquant les chaleurs de madame de Rénal lorsqu'elle se fait tâter la main par le fougueux Julien. Il y a Kamouraska, aussi. Kamouraquoi? Kamour, juste Kamour pour les intimes, le plus beau village, celui que je rêve de visiter, enfin l'histoire du roman du même nom se situe autant là-bas qu'à Sorel. Y tâte-t-on des mains avec chaleur ? Seulement celles des mourants, un fiévreux qu'on veut voir crever. Enfin, passons. Le téléphone sonne. C'est ma mère et quatre billets pour une croisière dans les îles. Les îles de Sorel, s'entend, pas les Caraïbes. Une heure et demi de bateau au pays du Survenant. Justement j'ai deux Espagnols ici qui n'auraient jamais espéré y aller. Avec la Catalogne et moi, ça fait quatre. Le compte est bon, partons.
- Z'avez jamais pensé aller à Sorel, vous autres, hein?
- Où ?
- C'est pas toi qui lis Le rouge et le noir ?
- Oui.
- On s'en va à Sorel, comme dans Julien Sorel.
- Oh oh oh!
Et la Gousse-mobile file à travers les champs de maïs de l'autoroute 30, fenêtres grandes ouvertes. "C'est ça que vous mangiez hier, avec du beurre." L'un d'eux en a encore mal au coeur, mais ça lui rappelle son Asturie natale, là où on jette les épis au bétail, pas aux touristes. Puis on arrive en ville, les noms de rue prennent des allures littéraires : rue Geneviève Guèvremont, du Survenant, du Chenal du Moine. Ça me rappelle la rue Stendhal, où j'ai resté quand j'étais à Paris, mes quatre jours de pluie là-bas. Tiens, Stendhal... je n'y avais pas pensé... Sorel, Stendhal, Le rouge et le noir... on y revient toujours.
Enfin bref, nous montons à bord du bateau. Pour bien comprendre l'ambiance à bord, il faut d'abord regarder Cruising Bar, première cuvée. C'est long, je sais, mais à peine plus qu'un tour en bateau. Vous avez vu le film ? Bon. Pensez au gros Roger, à la soirée dansante où il drague, au chacha, etc. Bingo. C'est ce genre-là de kitsch. La seule différence est que nous sommes le jour et que ce n'est pas un truc de célibataires. Personne ne drague et c'est bien tant mieux, mais ça donne un air raté à l'ensemble. Le bateau prend le large (pas l'eau, le large), un membre de l'équipage a sa guitare et un micro. Le voici qui chante Partons la mer est belle... On a le goût de partir, mais on ne peut pas, on est prisonnier. "C'est du folklore", que j'ai dit pour tempérer les élans.
Puis la magie des îles opère. D'abord la première île, bordée d'une rangée de chalets sur pilotis, de quais brinquebalants qui flottent sur les eaux boueuses, les hors-bords ancrés, on se croirait dans un bayou en Louisiane, les crocodiles en moins, la joie des vacances en prime : des gens se font bronzer, quatre fillettes pratiquent leur chorégraphie de ballet-jazz sans nous prêter attention, une femme qui passe la tondeuse nous fait des tatas pendant que notre musicien de fortune entonne Tous les palmiers tous les bananiers, de Beau Dommage, puis Ça fait rire les oiseaux de la Compagnie créole. Créole, oui, quel beau mot bien placé. Tout le monde nous faisait des tatas, les gros qui sirotent leur bière assis dans leur chaise sur la galerie, ceux qui sirotent leur bière dans leur chaloupe en pêchant, la fille en sea-doo, son chum, les enfants en pédalo, les amoureux dans leur voilier, tous. Délire total. Il doit y avoir quelque chose dans cette eau-là.
Le bateau poursuit sa route, passe cette île hallucinante, débouche sur le majestueux lac Saint-Pierre, vire à tribord et s'engage dans quelques chenaux étroits et inhabités. Les marécages se succèdent, les arbres, la lande, les grands hérons qui pêchent les poissons. C'est joli et apaisant. Puis on regagne le chenal du Moine, mais à l'autre bout complètement, en face de chez Didace Beauchemin, la légendaire maison. On passe devant la maison où Geneviève Guèvremont a écrit son roman, maison dotée d'une rallonge où on a tourné le film inspiré du roman. Le chenal s'étire, la croisière s'éternise, malgré ses moments forts, le chansonnier a tout chanté, non, il lui reste une chanson : Ginette, que tout le monde connaît et qu'on chante avec plaisir : "Je sais d'ailleurs où elle est rendue, mon chum l'a vue, elle dans tout nue dans un motel dans le bout de Sorel." Bang. Encore Sorel. Ça n'arrête pas. Et ça ne s'invente pas. Au fond, Sorel, c'est comme Le rouge et le noir. On y revient toujours.
Les Européens pensent à bien des choses quand ils viennent visiter le Québec, Montréal, Québec, Tadoussac, la Gaspésie, mais pas à Sorel. On évoque le nom et les voilà qui parlent de Le rouge et le noir, puis on glousse tous ensembles en évoquant les chaleurs de madame de Rénal lorsqu'elle se fait tâter la main par le fougueux Julien. Il y a Kamouraska, aussi. Kamouraquoi? Kamour, juste Kamour pour les intimes, le plus beau village, celui que je rêve de visiter, enfin l'histoire du roman du même nom se situe autant là-bas qu'à Sorel. Y tâte-t-on des mains avec chaleur ? Seulement celles des mourants, un fiévreux qu'on veut voir crever. Enfin, passons. Le téléphone sonne. C'est ma mère et quatre billets pour une croisière dans les îles. Les îles de Sorel, s'entend, pas les Caraïbes. Une heure et demi de bateau au pays du Survenant. Justement j'ai deux Espagnols ici qui n'auraient jamais espéré y aller. Avec la Catalogne et moi, ça fait quatre. Le compte est bon, partons.
- Z'avez jamais pensé aller à Sorel, vous autres, hein?
- Où ?
- C'est pas toi qui lis Le rouge et le noir ?
- Oui.
- On s'en va à Sorel, comme dans Julien Sorel.
- Oh oh oh!
Et la Gousse-mobile file à travers les champs de maïs de l'autoroute 30, fenêtres grandes ouvertes. "C'est ça que vous mangiez hier, avec du beurre." L'un d'eux en a encore mal au coeur, mais ça lui rappelle son Asturie natale, là où on jette les épis au bétail, pas aux touristes. Puis on arrive en ville, les noms de rue prennent des allures littéraires : rue Geneviève Guèvremont, du Survenant, du Chenal du Moine. Ça me rappelle la rue Stendhal, où j'ai resté quand j'étais à Paris, mes quatre jours de pluie là-bas. Tiens, Stendhal... je n'y avais pas pensé... Sorel, Stendhal, Le rouge et le noir... on y revient toujours.
Enfin bref, nous montons à bord du bateau. Pour bien comprendre l'ambiance à bord, il faut d'abord regarder Cruising Bar, première cuvée. C'est long, je sais, mais à peine plus qu'un tour en bateau. Vous avez vu le film ? Bon. Pensez au gros Roger, à la soirée dansante où il drague, au chacha, etc. Bingo. C'est ce genre-là de kitsch. La seule différence est que nous sommes le jour et que ce n'est pas un truc de célibataires. Personne ne drague et c'est bien tant mieux, mais ça donne un air raté à l'ensemble. Le bateau prend le large (pas l'eau, le large), un membre de l'équipage a sa guitare et un micro. Le voici qui chante Partons la mer est belle... On a le goût de partir, mais on ne peut pas, on est prisonnier. "C'est du folklore", que j'ai dit pour tempérer les élans.
Puis la magie des îles opère. D'abord la première île, bordée d'une rangée de chalets sur pilotis, de quais brinquebalants qui flottent sur les eaux boueuses, les hors-bords ancrés, on se croirait dans un bayou en Louisiane, les crocodiles en moins, la joie des vacances en prime : des gens se font bronzer, quatre fillettes pratiquent leur chorégraphie de ballet-jazz sans nous prêter attention, une femme qui passe la tondeuse nous fait des tatas pendant que notre musicien de fortune entonne Tous les palmiers tous les bananiers, de Beau Dommage, puis Ça fait rire les oiseaux de la Compagnie créole. Créole, oui, quel beau mot bien placé. Tout le monde nous faisait des tatas, les gros qui sirotent leur bière assis dans leur chaise sur la galerie, ceux qui sirotent leur bière dans leur chaloupe en pêchant, la fille en sea-doo, son chum, les enfants en pédalo, les amoureux dans leur voilier, tous. Délire total. Il doit y avoir quelque chose dans cette eau-là.
Le bateau poursuit sa route, passe cette île hallucinante, débouche sur le majestueux lac Saint-Pierre, vire à tribord et s'engage dans quelques chenaux étroits et inhabités. Les marécages se succèdent, les arbres, la lande, les grands hérons qui pêchent les poissons. C'est joli et apaisant. Puis on regagne le chenal du Moine, mais à l'autre bout complètement, en face de chez Didace Beauchemin, la légendaire maison. On passe devant la maison où Geneviève Guèvremont a écrit son roman, maison dotée d'une rallonge où on a tourné le film inspiré du roman. Le chenal s'étire, la croisière s'éternise, malgré ses moments forts, le chansonnier a tout chanté, non, il lui reste une chanson : Ginette, que tout le monde connaît et qu'on chante avec plaisir : "Je sais d'ailleurs où elle est rendue, mon chum l'a vue, elle dans tout nue dans un motel dans le bout de Sorel." Bang. Encore Sorel. Ça n'arrête pas. Et ça ne s'invente pas. Au fond, Sorel, c'est comme Le rouge et le noir. On y revient toujours.
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