2007/04/03

Le passeport

C'est après m'être difficilement arraché du sommeil, que j'arrivai, confus, au bureau de Passeport Canada. J'attendais dans la file d'attente pour obtenir mon numéro (imaginez, il s'agit d'une file d'attente vers une autre file d'attente), pendant que l'agent de sécurité essayait de nous faire peur en parlant d'un temps d'attente de deux heures. Lorsqu'enfin je me présentai à la réception, tentant maladroitement de sourire malgré mon triste sort et mes yeux cernés, la gentille préposée regarda mes papiers dûment remplis et m'annonça que je serais le prochain. "Regardez bien le panneau, votre numéro va sortir." Effectivement il sortit, à mon plus grand bonheur. Le pas léger, je me dirigeai vers mon kiosque.

L'homme qui devait recevoir commença par demander si j'avais un problème. "Non, monsieur, je n'ai pas de problème, je suis venu déposer une demande de passeport.
- Je m'occupe des cas à problème, dis-il en soupirant. Vous avez été signalé comme tel, la réception a dû se tromper.
- Oh.
- Mais ne vous inquiétez pas, je vais m'occuper de vous." Il prit ensuite mes documents, vérifia mes coordonnées, celles de mon répondant, celles de mes références. Et c'est là que mes problèmes ont commencé.

Il faut tout d'abord savoir qu'au Canada, on n'émet un passeport que si le requérant peut prouver son identité en fournissant l'assentiment d'un membre d'un ordre professionnel (avocat, médecin, ingénieur), en plus de devoir fournir deux références (ami ou collègue). Par souci d'économie peut-être, j'avais décidé que mon répondant, un avocat certes, mais d'abord un ami, pourrait me servir à la fois de répondant et de référence. Or, je ne pouvais pas faire ça. Si mon coloc pouvait très bien faire office de première référence, mon ami-avocat-répondant, lui, ne pouvait assumer les deux rôles. Le préposé me remit une feuille à remplir pour les coordonnées d'une autre référence.

Pris de court, je dus trouver quelqu'un que je connaissais depuis plusieurs années. Renée ? Elle vient de déménager. La Mort ? Elle déménage si souvent qu'il y a longtemps que je ne la contacte plus que par courriel. J'étais mis devant un fait terrible: communiquant d'abord par courriel, je ne connaissais par coeur qu'une poignée de numéros de téléphone qui ne m'étaient d'aucune utilité à ce moment-là.

- Ça peut-tu être un membre de la famille?
- Non, un ami ou un collègue.

Je pensai alors à un collègue, mais je n'avais pas ses coordonnées, seulement son téléphone au travail.
- Ben il va falloir l'appeler dans ce cas, me dit le fonctionnaire.
- Il y a un téléphone où je peux le faire?
- Il y en a un là-bas au fond, si vous voulez téléphoner."

Agacé et honteux d'avoir l'air sans entourage, je me dirigeai vers le téléphone payant, insérai ma seule et unique pièce de 25 sous dans la fente, composai le numéro et attendis la réponse du robot-répondeur. Ignorant le poste de mon collègue, je fis le 0 ...pour tomber sur la boîte vocale de la réceptionniste. Je retourne en trombe à mon préposé:
- Il n'y a pas de réponse, je n'ai pas les coordonnées de personne, qu'est-ce que je fais à partir de maintenant?
- Ben je ne peux rien faire pour vous monsieur.
- Je ne vous demande pas ce que vous pouvez faire pour moi, mais ce que je dois faire, moi, maintenant.
- Je vais ouvrir votre dossier et attendre une deuxième référence.
- Monsieur, je n'ai pas de deuxième référence, je ne connais pas de numéro de téléphone par coeur, je n'ai pas mon bottin avec moi, rien.
- ...
- Est-ce que je pourrai vous la faxer plus tard?
- Oui.

Puis il y eut un silence. L'homme travaillait. Et moi, honteux, furieux, j'essayais de me rappeler quelqu'un.

- Qu'avez-vous sur votre gars? me demanda-t-il.
- Je n'ai que son numéro de téléphone au travail.

Il continua de pitonner sur son clavier, puis me reposa la même question. Même réponse. Il prit alors ma feuille, regarda mon écriture en pattes de mouche, le nom et le numéro du collègue, puis il s'éloigna vers l'arrière, dans le fond, là où il y avait un bureau vide et un téléphone. Quelques minutes plus tard il revint. "Tout est correct, vous aurez votre passeport dans un mois.
- Cette semaine je vais m'acheter un cellulaire.
- Ce serait une bonne initiative."

Puis je sortis de là, la honte aux trousses.

4 commentaires:

Anonyme a dit...

Quelle aventure ! Mais tout est bien qui... - pébay

si-mon! a dit...

quelle honte! mdr

ton ancienne coloc a l'avantage de te connaître depuis longtemps, et elle a aussi l'avantage d'avoir un # de téléphone que tu as toi-même eu plusieurs années.. visiblement tu n'y as pas pensé! honte honte honte!

La gousse craintive a dit...

Je sais.
J'ai oublié d'ajouter ceci dans mon billet:
En sortant du bureau de passeport, je me suis dit: "Bon! D'ici quelques instants je vais trouver quelqu'un. Et comme de fait, j'ai pensé à Julie. J'avais son adresse et son numéro de téléphone par coeur, pour avoir vécu là cinq ans.

Puis ce soir, en vidant mes poches, j'ai trouvé un post-it où j'avais les nouvelles coordonnées de Renée, chez qui je suis allé souper vendredi.

Anonyme a dit...

Bravo, tu as réussi le test du bureau de passeport! J'ai bien peur de devoir vivre un pire cauchemar bientôt: renouveller le passeport au Canada alors que je suis à l'étranger et que j'ai un visa de travail d'étampé... je ne vois pas comment ça peut bien se passer dans mon cas!