J'ai déjà dit
sur ce blogue qu'en débarquant dans un pays nouveau, on est ébloui. Mais je n'ai pas dit qu'au bout de quelques jours on finit par voir quelque chose, on finit par se rendre compte qu'on est rendu quelque part. En Catalogne, ça m'est arrivé après trois jours, dans la cathédrale de Girona.
Mon Catalan et moi venions de quitter sa ville natale pour parcourir des bouts de campagne et des petits villages que ni lui, ni moi (bien sûr) ne connaissions, pour arriver en fin de journée à Girona. Le but avoué de cette excursion était d'aller chercher une amie catalane qui arriverait à 19h30 à l'aéroport de la ville. À 18h30, Girona se profilait à l'horizon et la lumière de plus en plus oblique du soleil rendait éclatante l'imposante cathédrale blanche. Sa domination sur la ville était visible à des kilomètres. Jusque-là je n'avais vu que de sobres églises romanes et la modeste et hétéroclite cathédrale de Solsona, or j'avais devant moi ma première véritable cathédrale européenne, aussi bien dire ma première véritable cathédrale, c'est-à-dire issue de ces élans de foi qui poussaient les hommes au grandiose. Non pas que la foi m'excite, mais j'ai un faible pour les fièvres et leurs effets.
Enfin, nous entrons dans la ville et mon Catalan m'annonce que nous passerons par la cathédrale avant d'aller chercher l'amie à l'aéroport. Quoi? Mais nous n'avons que quelques minutes, ne pourrions-nous pas plutôt aller la chercher et revenir ensuite, ou même demain, quand nous ne serons pas pressés? Non, Gousse, cette cathédrale est très belle, il faut que tu la vois. Raison de plus pour revenir quand nous aurons le temps, non ? Non. Il a garé la voiture sur le bord du Ter, le fleuve qui traverse la ville. Je l'ai suivi à contre-coeur dans les rues étroites, tentant d'absorber tout ce que je voyais malgré la hâte et notre pas de course. À l'église, il fallait payer. "Catalan, ça n'a aucun sens de payer, nous n'avons que dix minutes. Revenons plus tard avec ton amie", ai-je suggéré. "Non, nous avons le temps", m'a-t-il répondu. Tout ceci n'avait aucun sens, mais j'ai payé quand même. Puis je suis entré dans la nef. Et c'est là, oui là, que je me suis rendu compte que j'étais rendu quelque part.
C'est que je ne m'y attendais pas, voyez-vous ? Mon Catalan avait quelques pas d'avance sur moi, mais quand il s'est retourné, il a vu les larmes qui coulaient sur mes joues. Qu'est-ce qui se passe ? s'est-il inquiété. Oh, c'est trop beau, ai-je répondu. Je souriais en essayant vainement de retenir mes larmes. Je riais même, par moment, mais parfois aussi j'avais de véritables sanglots, avec le hoquet et tout, et tout. C'était incontrôlable. Même dehors, même de retour dans l'auto, en retour vers l'aéroport, je pleurais encore. C'est qu'on en vient à se dire que le monde a de très beaux endroits à offrir et que ça tombe bien parce qu'on est justement là à en profiter. Mais l'endroit est si beau qu'il entraîne le sentiment encore plus loin: le monde a de très beaux endroits à offrir et il est en train de m'en offrir un, à moi, maintenant. Je n'avais qu'à venir ici, c'était là, tout ce temps, ça s'offrait.
Et c'est là que le voyage commence vraiment. Dans cette communion.