Un film de gars
Un film de gars, dis-je, dans la salle comme à l'écran, avec pas plus de deux personnages féminins, lesquels, contrairement au couple de poilus de ma rangée, ne se sont pas caressés, ce qui, étant donné les rêves de l'assitance, est assez dommage. Mais l'archéologue vieillit et ses femmes aussi. Si montrer deux jouvencelles échanger des baisers aurait été dans l'air du temps, deux femmes d'expériences, ça... le monde n'est pas encore prêt. C'est peut-être notre prochain dernier tabou, allez savoir, mais pour l'heure, Indiana Jones et le royaume des crânes chauves s'inspire d'abord et avant tout de ses prédecesseurs. Donc no lesbian trip, okay? Oubliez ça. Les deux femmes sont ennemies : l'une d'elle conduira un véhicule amphibie pendant que l'autre lui tirera dessus avec une mitraillette. C'est la seule interaction qu'elles auront. (De grâce n'allez pas dire que je viens de vendre un punch. Les films d'Indiana Jones sont reconnus, entre autres, pour leurs poursuites effrenées et leurs fusillades sans effet.) Deux femmes, donc, dans ce film manichéen : une bonne et une mauvaise, la bonne femme étant celle qu'on veut épouser, la mauvaise, celle qu'on veut tuer.
Voilà peut-être l'originalité de cet Indiana Jones au royaume des têtes de mort: l'ennemi à abattre, le big boss, est une femme. On pourrait penser que mesurer une femme à un héros masculin est une victoire pour le féminisme, mais il n'en est rien, car faire d'une femme le gros méchant dans un film de gars ne va pas sans problème. Après tout, on imagine mal Indiana Jones lui donner une râclée, rapport que ce serait tout un exemple à donner à son public-cible masculin venu se changer les idées. Or les moyens déployés pour affronter et rendre affrontable la vilaine trahissent une pensée désesperément machiste. On dote d'abord la femme d'une épée, arme phallique à souhait, mais aussi arme d'agilité et de finesse plus que de force et de brutalité, de telle sorte que les hommes, pour l'atteindre, n'auront d'autre choix que d'utiliser la même arme. Mais cette mesure, à la limite astucieuse, n'est pas suffisante. L'homme est encore trop fort. Surtout Indy, reconnu par ailleurs pour sa maîtrise du poing et des coups de fouet plus que de la noble lame. Ce sera plutôt son jeune compagnon, pleurnichard, décrocheur, encore dans les couches de sa mère, mais qui excelle à l'escrime, qui la combattra. Mais là encore, les forces sont inégales. Si les scénaristes ont doté la vilaine d'un phallus de courtoisie, il leur faut aussi castrer le jeune homme: il recevra, pendant le combat, une série de cactus dans les couilles. Sérieux.
Et que fait la bonne femme pendant ce temps? Elle conduit son véhicule amphibie comme un jeep à la plage, encourage son fils pendant qu'il se bat avec la madame, décrit ses états d'âme à Indiana Jones quand ce n'est vraiment pas le moment. Déconnectée de ce qui se passe pour mieux se concentrer sur ses émotions, incapable de faire du mal, incapable aussi de s'enlever Indiana Jones de la tête, amoureuse indéfectible, mais aussi, bien sûr, mère aimante, ce qu'on ne lui reprochera certainement pas, voilà le portrait d'une bonne femme. Tout le contraire de la mauvaise, sorcière sans scrupule dont la faim pour la connaissance n'est motivée que par sa soif infinie de pouvoir, soif qui, comme toujours dans Indiana Jones, mènera à sa perte. C'est là que le film devient carrément sexiste, non pas tant parce qu'on marie la mère aimante qui s'en remet entièrement au héros, que parce qu'on le fait après qu'ait été punie la femme qui, épée à la main et idées dans la tête, avait l'ambition de tout connaître et n'hésitait pas à se servir du héros pour y arriver. C'est ce qui m'amène à dire que le gros méchant aurait dû être un homme... et peut-être aussi le héros, une femme, mais ça c'est un tout autre film.