La Presse annonçait avec fierté
les dix meilleures plages autour de Montréal. À voir où ça nous a mené dimanche, mes amis et moi, je suis en droit de me questionner tant sur la pertinence de ces listes que sur la qualité des plages environnantes, quoique, quand un cas comme dans l’autre, la Presse ne s’en sort pas : ou bien elle publie n’importe quoi, ou bien elle publie n’importe quoi (bis).
Nous étions donc sur le chemin d’Oka à bord de la Gousse-mobile, rutilante sous le soleil de juillet, pour une autre mémorable escapade jusqu’à Sainte-Marthe-du-Lac, où nous attendait, aux dires de la Presse, le calme et l’anonymat d’un lac artificiel. « Cette ancienne sablière a été aménagée en plage par un groupe de citoyens, qui se gardent bien d’ébruiter le secret. - La Presse » Secret mes fesses. La 43e avenue et toutes les avenues avoisinantes étaient bordées d’autos de plaisanciers qui eux-mêmes faisaient la queue pour payer leur droit d’accès à cette grosse pataugeoire. Le Gaspésien que nous avions à bord a refusé de descendre de l’auto, nostalgique des endroits déserts dont regorge sa région natale et moi-même, nostalgique des plages blanches de Menorque, j'ai refusé de garer le véhicule. Il nous restait toujours Oka, malgré ses indécents hors-bords. « Cap à l’ouest ! » nous sommes-nous exclamés.
Nous ignorions que Pointe-Calumet et son fameux Beach Club se trouvaient sur notre route : « Pas le temps ou les moyens de vous payer une semaine à Punta Cana? L’espace d’une journée, vous pourrez retrouver l’ambiance et les activités propres aux complexes hôteliers des Caraïbes… à 40 minutes du centre-ville de Montréal. » Le stationnement situé à l’ombre des glissades d’eau était rempli non seulement d’autos, mais aussi et surtout de post-adolescents qui calaient leurs bières avant de franchir les tourniquets, de l’autre côté desquels une immense cannette de Bud light gonflable leur promettait de leur faire payer cher chaque consommation. La musique tonitruante, les corps d’athlètes et les huttes de paille achevèrent de nous convaincre qu’il s’agissait du party perpétuel des annonces de bière et des radios commerciales. 12 piasses chaque pour ça ?
No fucking way. Il a donc fallu remonter la file auto-bronzante et multi-cellulaire, passer le long des terrains de volleyball exhibito-abdos, tourner le dos à la calice de musique, repasser entre les auto-épilés, nous méfier des ados qui se saoûlaient et se réchauffaient, pour remonter dans la Gousse-mobile où nous attendait une bonne bouffée de chaleur.
Oui, ils étaient beaux, tous ces éphèbes et ces jouvencelles, on peut rêver d’eux pour une nuit, ou dix fougueuses minutes sur la banquette arrière, j’avoue que ça me titillait, mais il y avait aussi quelque chose de triste à les voir s’exciter dans cette pastiche caraïbéenne, dans ce faire-semblant-que-le-party-continue. Il me semble qu’à leur place, je profiterais de ma beauté pour m’ouvrir d’autres portes que des portes de char, mais bon, traitez-moi de pute si ça vous amuse, je vous réponds qu’on peut toujours rêver. À la radio, alors que nous quittions ce lieu sordide et si terrifiant pour l’avenir du monde, une fille téléphonait à l’animateur : « Ouin... c’est juste pour dire qu’on est dix filles super hots au coin de telle rue et telle rue, pis on lave des autos toute la journée... » Assez!
Prochaine étape, Oka, la mythique plage : « D’une capacité de 10 000 personnes, la plage est située tout près du camping du parc. On peut y louer toutes sortes d’embarcations et des vélos, ce qui est idéal puisque la Route verte traverse le parc. » Comme d’habitude, une auto dudit parc barrait l’accès et nous renvoyait chez nous, les 10 000 personnes étant déjà arrivées. Sur l’accotement recommençait l’inlassable galerie des torses bien découpés, des bikinis tout petits et de l’alcool sur le capot de l’auto en attendant que des places se libèrent. Il ne sera pas dit que l’attente aura mis un terme au party qui, comme le show,
must go on.
Avec tous ces détours il était déjà 15h00, l’heure que les Majorquains appellent l’heure basse, sage appellation qui nous rappelait avec beaucoup de justesse qu’il fallait se dépêcher, ravaler notre morve de pleurnichards, prendre une bonne respiration et retourner au trou de bouette de Sainte-Marthe-du-Lac, notre premier amour. Là-bas, le sable avait beau nous brûler les pieds, il était facile de les oublier en les plongeant dans l’eau, non pas tant à cause de sa fraîcheur que de son opacité. Le Gaspésien a eu l’idée folle d’y échapper ses lunettes de soleil et croyait bien ne jamais les revoir, jusqu’à ce que Simon les retrouve en tâtant aveuglément du pied. Imaginez maintenant qu’un enfant s’y noie, ce n’est pas pour rien que les bouées nous empêchaient d’aller au-delà de 1,6m de profondeur... J’étais bien loin des eaux cristallines de la Méditerranée où la nudité de tous était visible à des kilomètres. C’était huit jours plus tôt, mon dieu.
Enfin, malgré tout, l’endroit n’avait ni l’indécence sexuelle du Beach Club, ni celle, hors-borisée, de la plage d’Oka. Nous y avons passé deux jolies heures plutôt paisibles malgré la mère de Zacharie qui, de son parasol, ne pouvait supporter de voir vivre son enfant de 18 mois. Le pauvre ne faisait rien, ne disait rien, parfois il se levait : « Zacharie, fait attention, tu vas tomber! » parfois il s’assoyait : « Zacharie, tu vas te salir! Zacharie, fais pas ci, Zacharie, fais pas ça! » Pauvre Zacharie. Un jour, il voudra se libérer de sa mère en roulant jusqu’au Beach Club.