L'aveugle
Ce matin je traversais la rue avec un aveugle au bras. C'était la première fois que ça m'arrivait. Je ne savais trop quoi dire. Mais ça n'avait pas de sens d'avoir un homme accroché à soi et de ne rien dire, alors j'ai demandé s'il voyait un peu. "Non. Si tu ne me parles pas, je ne te distingue pas." Si aveugle qu'il ne voyait pas celui qu'il touchait.
- Avez-vous déjà vu? ai-je demandé.
- Oui, jusqu'à l'âge de quatre ans. Puis c'est parti du jour au lendemain.
Je ne savais plus quoi dire. On dit quoi, après une histoire pareille? C'est terrible? Pouah? Wow? J'ai laissé parler le silence. J'essayais d'imaginer mes souvenirs fussé-je devenu aveugle à quatre ans. J'espère qu'il a compris que mon silence n'était pas de l'ennui, mais bien du trouble.
- Comment c'est arrivé?
- La rougeole.
- Quoi, la rougeole fait ça?
Mais déjà ce n'était plus la même chose. S'imaginer avoir la rougeole à quatre ans, ce n'est pas comme s'imaginer devenir aveugle. Et puis j'ai déjà eu la rougeole - bien avant mes quatre ans, en plus. "He ben", me suis-je entendu dire à mon plus grand déplaisir.
Finalement j'ai marché avec cet homme jusqu'à la rue suivante, le prévenant de la présence de glace ou de congère sur notre chemin. Nous avons traversé Châteaubriand ensemble, puis je l'ai laissé continuer seul dans la bourrasque. J'avais dépassé ma destination et devais rebrousser chemin.
En lui souhaitant la bonne journée, j'ai été étonné que l'homme ne se retourne pas pour me remercier. Mais je crois maintenant que ce doit être tout à fait normal, pour un aveugle, de ne pas se retourner.
1 commentaire:
bien joué ian.
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