2007/11/29

Les cheveux blancs du sommeil

Un jour où j’avais particulièrement besoin de changer d’air, je me suis précipité chez la coiffeuse. N’allez pas croire que c’est le genre de folie que je fais souvent. Ça n’est arrivé qu’une fois, et c’était cette fois-là.

J’étais donc chez la coiffeuse et je prenais malin plaisir à regarder les ciseaux couper avec tant d’aisance des pans entiers de ma chevelure (déjà courte, à l’époque). C’était comme passer un linge humide sur une surface très sale et de voir que ça part tout seul et d’en jouir, ou encore de sourire en passant l’aspirateur dans un tas de poussière et de voir encore une fois que c’est facile, efficace, et d’en jouir. Oui, j’étais comme ça devant mes cheveux qui raccourcissaient à vue d’œil. C’était facile, ça se faisait tout seul. Et au pied de la chaise s’amoncelait des retailles qu’il serait si facile de balayer qu’on ne pouvait que sourire en y pensant. J’allais partager toutes ces merveilleuses pensées avec la coiffeuse et lui dire à quel point cela sauvait une journée jusque là ennuyante et pénible, lorsqu’elle s’est exclamée : « Ah? Il y a un cheveu gris! »

Mon premier cheveu gris. Le premier signe de ma longue décrépitude jusqu’à la mort. La preuve, s’il en fallait une, que j’allais mourir. J'étais là pour me changer les idées et c'était le moment que choisissait la fatalité pour venir me hanter. En rentrant chez moi, j'ai cherché longtemps le maudit cheveux à travers le miroir. Puis je suis allé me coucher, pour mettre un terme à cette sale journée.

C’était il y a deux ou trois ans. Depuis, je n’ai jamais revu ce cheveux gris, mais un poil blanc est venu troubler ma barbe. Ce poil m’amuse. Je l’arrache en espérant qu’il ne revienne plus jamais. Et il revient chaque fois, le vlimeux. Je prends la pince, et je l’arrache encore. Au moins, ça se contrôle. Ce n'est pas comme mon sommeil. Ça, depuis un mois, c'est foutu. À quatre heures chaque nuit je me réveille - attention, je ne suis pas tiré de mon sommeil, je me réveille, littéralement. Alors je me dis que j'ai le sommeil d'un petit vieux, que je vieillis, que le reste de mes nuits sera comme ça. Et que je ne vivrai pas vieux, ah ça non! Je ne veux pas dormir comme ça pendant cinquante ans

Bref, on pense souvent que la vieillesse, c'est le corps qui fout le camp, mais c'est faux. C'est le sommeil qui s'en va. La vieillesse, c'est un long épuisement qui vient à force de passer mauvaises nuits. La vieillesse, c'est d'abord le sommeil qui prend des rides. Les premiers vrais cheveux blancs sont des minutes de nuit blanche.

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Étant moi-même dans ma dernière année, je me sens personnellement interpellé par ces quelques réflexions.

A 31 ans, on commence à se demander si on va passer le prochain hiver. Maudit climat !
Ce pays n'en est pas un qui soit clément pour les vieux gousse.
- pébay

si-mon! a dit...

Gousse, ce manque de sommeil t'inspire merveilleusement.